mercredi 25 novembre 2015

Monsieur on ne parle pas des attentats?

Mercredi 18 novembre 2015.
Dernier TD du cours de Philosophie des pratiques corporelles que je donne à l'Université Lyon1.

Cinq jours après les attentats du 13 novembre à Paris.

Le nombre de morts s'élève à 129. Un ami sur Facebook est toujours dans l'attente de l'identification de sa fille (dont j'apprendrai la mort après le cours). Le matin, un assaut a été donné à Saint-Denis. L'enquête post-attentats continue à nous maintenir dans une sordide ambiance et des sentiments qui oscillent entre tristesse et colère.

C'est donc le dernier TD. Je donne les consignes de travail. Les étudiants ont du mal à s'y mettre.

Quand l'un d'entre eux me demande:
"Monsieur on ne parle pas des attentats?"

Je suis surpris. Je ne m'attendais pas à cette demande.
Il y avait eu la minute de silence le lundi. Puis le mardi, le mercredi matin, les cours.
Mais les étudiants attendaient visiblement de pouvoir en parler. Après deux jours et demi de cours, à aucun moment cet espace de parole n'a été institué. Ils me l'ont dit. On n'en a pas parlé. Je sens qu'il y a de la peur, de l'incompréhension.
Parmi eux, ils avaient été nombreux à lire "Faire un cours l'air de rien" que j'avais écrit le samedi.
Ils se sont dit qu'on en parlerait...
Alors, nous en avons parlé, malgré le fait qu'il s'agissait du dernier TD durant lequel nous pouvions ajuster le travail à rendre une semaine plus tard, malgré le fait que c'était le dernier moment où je pouvais les aider pour ce document qui serait noté.
Je ne suis pas sûr que j'ai été à la hauteur de leurs attentes.
Il y a eu du silence, des visages fermés, des regards profonds.
Il s'est encore passé quelque chose dans l'écoute, dans l'expression du ressenti, dans le questionnement.
La qualité des échanges était là.
Parce qu'il fallait parler, non pas encore, mais enfin.
Prendre le temps.
Alors, je me suis dis que face à une horreur comme celle du 13 novembre, une horreur qui se vit aussi ailleurs même si on en parle moins (au Mali, au Liban, au Nigéria, en Tunisie, en Syrie, en Libye, en Irak, en Afghanistan...), il est cependant possible de se retrouver. Une telle horreur nous rend plus humains. Au sens fort du terme. Au sens où nous nous sentons appartenir à une même communauté liée par des valeurs partagées et dont les liens se renforcent par les mots importants, enfin échangés.

lundi 16 novembre 2015

Attentats du 13 novembre - Retour sur un témoignage de prof

Samedi 14 novembre, j'ai rédigé un témoignage de ce que j'avais vécu avec une centaine d'étudiants accueillis en amphi pour un cours de quatre heure ("Faire un cours l'air de rien au lendemain du 13 novembre 2015"). Le cours commençait à 8h, un peu plus de dix heures après les premières attaques terroristes sur Paris du 13 novembre 2015. Des heures qui ne servirent pas à dormir.

J'ai écrit ce témoignage pour rendre compte de l'intensité et de la qualité des échanges que nous avons eus. Il y a eu de l'émotion (très forte, allant jusqu'aux pleurs), il y a eu des questionnements (beaucoup, variés, pertinents), il y a eu des témoignages (poignants, authentiques), il y eu des idées, des valeurs, des contradictions et de l'écoute, de l'échange et du respect.
C'est tout ce dont je voulais rendre compte.

Et ce texte m'a échappé.
Il a été repris, commenté et a donné lieu à des dizaines de milliers de lectures en une journée.

J'en ai été surpris, et ému.

La surprise est venue d'abord de la dimension quantitative de sa réception. Sur ce blog, il a été lu plus de 9600 fois en 24h (ce qui en fait le cinquième articles le plus lu, passant devant des articles consultés régulièrement depuis... 2010).

Il a été repris sur Rue89, et a été consulté près de 80000 fois en douze heures, ce qui en fait le troisième article le plus lu du site au moment où j'écris ces lignes. Sur la page Facebook de rue89, il a recueilli, sur la même période près de 7000 j'aime et a été partagé plus de 1600 fois. Sur ma propre page Facebook, il a été partagé également près de deux-cents fois.

Il a été listé dans des articles qui proposent des ressources pour parler aux élèves ou aux étudiants, comme ici dans l'article de Stéhanie de Vanssay (Comment en parler avec nos élèves?), ou là (Attentats à Paris, comment en parler à ses étudiants?).

Je me suis demandé ce qui a produit un tel déferlement. Je n'avais pas l'impression que ce texte était important. J'ai compris qu'il l'était pour celles et ceux qui le lisaient en lisant leurs commentaires. Nombre des lecteurs me remercient de l'avoir écrit. Des étudiants (que j'ai eu en cours, d'autres que je ne connais pas) m'ont écrit. Une mère d'étudiant aussi. Puis des collègues, des amis.
Il aurait donc une certaine utilité.

Passée, la surprise, c'est l'émotion qui m'a saisi en lisant ce que le texte avait suscité. Tant de personnes sont dans l'angoisse, sont démunies... Ces attentats, outre les morts et les blessés, outre la peine de leurs proches, nous avaient déjà touchés en produisant de l'inquiétude, du désarroi.
J'ai eu envie de pleurer.

C'est pour cela que ci-dessous je copie les messages reçus, les commentaires. Simplement listés. Sans ordre... en mentionnant, lorsque je la connais le statut de la personne qui me l'a envoyé ou qui l'a posté sur un site.  Leurs propos sont indissociables du témoignage que j'ai produit. Ils le prolongent.

• Déborah, étudiante: "Bonjour, je voulais juste vous remercier. Tout d'abord, de nous avoir accueillis ce matin après la pause dans votre cours. Je m'excuse du dérangement que j'ai suscité en rentrant. Mes amis et moi avions peur que vous nous refusiez d'assister à la réflexion/débat que vous avez décidé, spontanément, de mettre en place en cette journée lourde et interminable.
Puis, je vous remercie de permettre aux étudiants de s'exprimer. De les écouter. Pas seulement d'écouter pour répondre, mais d'entendre vraiment chaque mot de chaque phrase. Beaucoup de mes amis souffrent de l'islamophobie, il y a de l'inquiétude vis à vis du futur de la France, de l'inquiétude dans la vie de tous les jours.
Même si la plupart d'entre nous ne sommes pas directement liés au massacre d'hier au soir, nous nous sentons tous personnellement touchés. Parce que ça aurait pu être n'importe où, n'importe quand et n'importe qui. Parce qu'on est français, et que nous partageons les mêmes valeurs. La différence (couleur de peau, religion, immigrés, hommes ou femmes...) est se qui fait notre unité, et c'est se qui fait de la France ce qu'elle est : un pays libre et tolérant.
Nous vous remercions tous d'avoir partagé avec nous vos pensées et réflexions, dans le cadre d'un dialogue constructif et réciproque.
Il faudrait davantage de profs comme vous qui considèrent l'actualité de notre pays plus important qu'un cours, certes très intéressant s'agissant du votre, mais qui dans les faits est bien moins important.
Je me demande comment les humains peuvent être aussi semblables et pourtant si différents. Comment il est possible d'éteindre toute l'humanité d'un homme, alors que l'empathie est un caractère partagé de l'espèce humaine. Il a été démontré chez les psychopathes, qu'un gène impliqué dans l'empathie est en fait altéré chez eux, expliquant leur folie. Mais comment expliquer le mental d'un terroriste ? Comment peut-il regarder dans les yeux un semblable et décider de le tuer d'une balle dans la tête ? Ce sont devenus des machines formatées, dont les capacités à réfléchir et ressentir ont été complètement effacées. Leur façon de penser est tellement radicale, qu'il est impossible d'imaginer un retour en arrière de leur part. Que faire de ces personnes ? Ils doivent être attrapés, arrêtés et après ? La justice les mettra en prison, mais leurs pensées en resteront toujours intactes si ce n'est amplifiées.
Ils n'ont pas du tout les mêmes connexions neuronales que nous, ou bien ils sont possédés par des Goa'uld...
En vous remerciant
"

• Une mère d'étudiant, prof en collège: "Demain , je retourne au collège... dans le bronx (Nom du Collège) . Comme toi, je ne vais pas faire mon cours l'air de rien, comme vous j'imagine que l'on va se regarder longuement, et aussi parler, s'écouter... mes élèves, moi, ont entre 11 et 16 ans. Je vais devoir etre à la hauteur, rester dans "l'adulte" et gérer mes, et leurs émotions.  Je sais que je vais avoir du mal avec la dérision, la provocation de certains... ou peut etre vais je etre bluffée par leur grande dignité, je ne sais pas... j'aime mon job, ces gamins, mais je ne lache rien sur le savoir-être et les valeurs communes du "vivre ensemble". A (Nom du Collège) on s'accroche, je suis lasse ce soir mais je vais me blinder pour demain... Merci pour cet article , je relaie"

• Marion, étudiante: "Encore merci Monsieur de nous aider chaque samedi matin à ouvrir nos esprits sur le monde qui nous entourent. Hier Matin, nos cœurs étaient lourd et l'atmosphère pesante. Mais grâce a vous, grâce au partage des opinions et de point de vue, nous avons réussi à nous délaisser légèrement du poids de cette tragédie dont nous avons tous été touché. L'échange nous a permis de ne pas être en colère mais de nous souder, nous français.
Pray for Paris
"

• Léo, étudiant: "Quelle chance d'avoir eu l'opportunite d'échanger ce matin, spontanément, tous ensemble, avec le regard éclairé d'un professeur-chercheur à Lyon 1."

• Caroline, étudiante: "Ce cours a été fort en émotion, merci pour tout Monsieur. "Face au terrorisme n'ayez pas peur. Rester debout et toujours unis""

• Nicolas, étudiant : "Etudiant en Belgique, hier matin, à vous lire, j'aurais moi aussi voulu être à Lyon. Merci pour vos quelques lignes sur Rue89."

 • Clément, ancien étudiant: "Bonjour, je suis un ancien étudiant a lyon et une de mes très bonnes amies est une de vos éleves. Je vous envoi ce message car j'ai lu votre texte sur le blog. Je tenais a vous dire qu'il était magnifique et que l'action est très forte. Vous êtes un grand homme monsieur si ce monde peux s'améliorer c'est grâce a des hommes comme vous. Je n'ai aucune raison mais merci."

• Nadège, étudiante: "Monsieur, Je souhaitais vous remercier de votre témoignage, de votre sagesse. Vous m'avez émue ! Ce qui arrive est tout simplement incroyable, les mots ne suffisent pas pour décrire l'émotion que nous éprouvons tous. Les vôtres m'ont permis de me dire un autre demain est possible, dans l'union. Merci encore"

• Jiasmine, étudiante: "Bonsoir, Je suppose que vous êtes le prof de SHS d'une de mes amie. Le prof qui donnait cours ce matin. J'ai lu votre texte, mon amie a mis un lien sur son profil. Je tenais a vous dire qu'il m'a énormément touchée, il est rempli d'humilité, rempli de vérité, rempli avant tout d'humanité. Ca m'a touchée car les mots donnent un sens à tout ou presque. Et de pouvoir réussir à mettre des mots sur ce qui a pu se passer avec tous ces etudiants, toute cette magnifique mixité donne lieu à la force. À la force qu'il faut pour se sentir vivant, pour se sentir humain. Il faut se dire que l'on est ensemble, que l'on a toujours été ensemble, que c'est comme ça et que c'est pour cela qu'il faut s'unir. Cette tuerie est une horreur et oui cela fait peur, cela rend vide, cela peut en remplir certains d'une immense amertume, d'une profonde haine, de créer de nouveaux amalgames. Mais il ne faut pas se laisser envahir par ces emotions, il faut se "tenir par la main" et se sentir plus forts que ces armes et ces hommes. Quand l'Homme a peur par instinct il se protège, protège les siens et voit sa force s'amplifier alors il faut que l'on puisse transformer cette peur en instinct et réussir à rebatir quelque chose d'encore plus beau, d'encore plus fort: s'aimer, ne pas etre effrayer par son voisin, ne pas le rendre coupable des larmes versées, de la douleur donnée. La nature nous a tous fait différents, même dans une société où tout le monde se ressemble la différence a toujours une longueur d'avance alors montrons à ces gens que nous n'avons plus peur de l'inconnu, que cette difference est la bienvenue. Montrons leur que nous sommes difference et que grâce à cela la terreur qu'ils veulent nous envoyer ne nous atteint pas, que même si l'on tremble c'est parce que l'on a froid et que nous sommes au-dessus. Nous répondront à cette violence par le mot humanité. Merci pour vos mots, la profondeur qu'ils apportent. Merci du soutien pour nous les étudiants, j'espère que leurs regards de ce matin vous a fait du bien."

• Arnaud, ancien étudiant "Il y a 14 ans, j'étais assis dans un amphi minable que la fac de sciences prêtait à l'UFR STAPS de Montpellier. La semaine précédente, les tours étaient tombées. C'était la rentrée ou presque... Déjà, nous avions discuté, un peu. Je n'étais pas d'accord avec tous ce que vous nous disiez mais nous échangions sur le deuil, sur les processus d'identification, sur les codes. Je n'ai pas oublié, je n'oublierai jamais. L'actualité ne me laissera pas oublier. Demain, je parlerai avec mes élèves de lycée pro, dans un établissement à 29 nationalités. Déconstruire prendra du temps mais je ne lâcherai pas, je dois bien ça à mes élèves"

Et puis des commentaires associés à des partages de l'article: 

• "Pour toutes mes amies enseignantes... ou pas d'ailleurs... Laissez de côté le "foutu programme"
Et prenez le temps de
Parler
D'écouter

D'accueillir le silence
De dire ce qu'on ressent
"


• "Je ne suis pas capable de dire ce qu'il a dit, mais je vais faire de mon mieux demain, face à "mes" élèves (dont un bon nombre que je ne connais pas encore)... Je ne sais pas ce que je vais leur dire, sauf partager cette citation d'Aragon qui est ma photo de couverture et la phrase qui a été choisie par mon établissement "certains jours j'ai rêvé d'une gomme à effacer l'immondice humaine" "

• "Pensées aux instits, profs, éducs, tous ceux qui bossent avec des enfants..."

• " "Parce qu’à travers les mots qui ont circulé, c’est la vie qui s’est propagée et l’espoir de l’intelligence qui s’est imposé sur la désespérance de l’ignorance." Merci à ce professeur... Il a tout compris ! Les jeunes aussi d'ailleurs !"
[Cette phrase, qui conclut l'article a souvent été reprise dans les partages sur Facebook]

• "le pouvoir de se parler"

• "Une leçon de communication... un "cours" comme on aurait dû en recevoir..."

• "La VIE"

• ""[...]Parce qu’à travers les mots qui ont circulé, c’est la vie qui s’est propagée et l’espoir de l’intelligence qui s’est imposé sur la désespérance de l’ignorance." Philippe Liotard"

• "Magnifique !
L'écoute, l'intelligence, l'intuition, la vie quoi et donc, l'espoir !
"


• "et ça c'est vraiment de la connaissance, de la reconnaissance et pas besoin d'évaluation pour savoir si c'est acquis."

•  "Le pouvoir des paroles libres"

• "J'aurai aimé être présente, pour écouter... vivre les échanges entre ces personnes"

• "C'est un récit prenant et c'est je pense ce que nous, étudiants de toute la France ou d'ailleurs, avons besoin face à cet éprouvant début de semaine."

• "Ce samedi matin, les établissements scolaires et universitaire d'ile-de-france étaient fermés et on comprends bien pourquoi. Mais ailleurs, malgré la peine, des étudiants et leur professeurs se sont retrouvés. Non pas pour suivre/faire un cours comme ils en ont fait beaucoup depuis septembre, pas pour être dans le rapport élèves/profs, juste pour parler d'humain à humain, juste parce qu'ils en avaient besoin...."

• "C'est ÇA la France, les jeunes sortez nous de là !"

• "A LIRE SANS MODERATION. C'est comme le morceau de musique du pianiste, ça fait du bien !"

• "Quelle humanité !!!"

• "Le témoignage intense et sincère de Ph. Liotard, enseignant à Lyon-I, devant son amphi samedi matin...
..."Parce qu’à travers les mots qui ont circulé, c’est la vie qui s’est propagée et l’espoir de l’intelligence qui s’est imposé sur la désespérance de l’ignorance."...

... de l'importance de la parole et de l'échange pour apaiser colère et souffrance, évacuer les sentiments négatifs...
Parler pour construire... éduquer... et AIMER!!"


"Poignant..."

• "Les larmes coulent et ça fait du bien.. Merci Arnaud pour ce partage mais pour tous les autres aussi ... À travers toutes ces ondes facebookiennes ... Humainement reliés. Merci"

• "C'est émouvant l'intelligence."

• "SUBLIME TEXTE
SUBLIME ATTITUDE
D UN PROF CE MATIN FACE A SES ETUDIANTS
ET QUI PEUT - PEUT ETRE - VOUS GUIDER DEMAIN ??"


• "Intense. Juste ouvrir l'espace de la parole."

• "Se parler, s'écouter, débattre dans le respect..."

• "Merci Laurent, encourager le dialogue, les dialogues, donner du temps pour cela: c'est clair, direct et magnifique" 

• "Face à l'horreur, voilà ce que je ferai également avec mes étudiants demain matin. En parler...et nommer les choses aussi atroces soient-elles !!"

• "Ce moment dont on aurait tous besoin, ils l'ont pris..."

• "Une pensée pour vous mes collègues qui recommencez à enseigner dés demain ..."

• "J'espère qu'à mon collège demain, on va parler -
parce que les mominets ils vont en avoir des questions,
des craintes, des peurs et d'la provo aussi..."


• "simple et juste..."

• "Des moments fondateurs, pour les jeunes étudiants qui les ont vécus.
c'est impressionnant..."


• "Une véritable communion entre étudiants et un beau message d'espoir..."

• ""Parce qu’à travers les mots qui ont circulé, c’est la vie qui s’est propagée et l’espoir de l’intelligence qui s’est imposé sur la désespérance de l’ignorance." --- on peut VIVRE ENSEMBLE! <3"

• "J'aurais bien aimé être étudiante, ce samedi matin..."

• "Merci...tout le week-end je me suis demandée comment j'allais faire pour pouvoir faire cours demain ... je ne pourrai pas...maintenant je sais ce que je vais leur dire "parce qu’il fallait se parler et que le cours n’avait pas de sens ... Le savoir formel n’avait plus d’importance.Ce qui était important, c’était de pouvoir parler, d’apaiser ce qui nous traversait. Parce qu’à travers les mots qui ont circulé, c’est la vie qui s’est propagée et l’espoir de l’intelligence qui s’est imposé sur la désespérance de l’ignorance." ...Ca, ça vaut tous les cours"

• "Merci, ce sera votre meilleur cours!"

• "C'est beau de savoir qu'il y a des gens comme ce Monsieur, des professeurs surtout, qui savent non seulement enseigner leur matière/passion, mais aussi enseigner la vie, tout court. Le partage, la compassion, l'humanité... C'est grâce à des gens comme lui que, comme il le dit si bien, " l’espoir de l’intelligence" s’imposera "sur la désespérance de l’ignorance". Merci Mr Liotard."

•  "Nous ils nous ont quand même fait un examen accompagné de blagues à 2balles"

• "Et puis il y a nous, élève de prépas qui se sont installé ce samedi dans nôtres salle de DS, dans l'incompréhension et sous très peu d'infos ... L'ambiance était pesante et à la sortie du devoir nous étions tous sur nos téléphones, inquiet de recevoir des nouvelles ... Ce fut 4heures très dures et longue ... Puis le reste du week-end en fut très fatiguant ... Merci à vous de vous êtes exprimé à vos élevé, c'est une chose que j'aurais apprecie en ce samedi matin !"

• "Ce témoignage m'a émue plus que tout ce que j'avais entendu jusqu'à présent ! Merci Monsieur !"

• "Des fois les mots sont là comme des larmes... On ne les choisit pas. Mais ils s'écoulent et ça fait du bien..."

• "Moi j'ai eu cours d'anglais, une petite référence durant 5min mais sinon foutage de gueule complet"

• "En de telles circonstances il n y a que le vivre ensemble par le partage des mots qui puissent apaiser pour éveiller notre volonté de
Liberté
Égalité
Fraternité"


"Ceci est un vrai cours, un cours sur la vie, sur l'humanité."

• "Merci encore pour ce cours, on en avait tous besoin

• "Un cours d'intelligence et d'humanite Cela n'est pas dans les programmes mais c'est ce qui doit etre le fil conducteur de tout educateur ... de la Maternelle à l' Universite !

• "voilà, magnifique, ça peut être ça enseigner et.. ça devrait être ça plus souvent, écoute, partage, respect...

• "Une réaction saine et essentielle. Samedi matin je devais avoir un exam en amphi à la fac de Strasbourg et je m'étais demandée s'ils allaient l'annuler ou peut être laisser le choix aux étudiants de le passer un autre jour. Ils ne l'ont pas fait, ce qui nest pas spécialement choquant en soi, mais ce qui m'a profondément dérangé c'est que aucune référence n'a été faite, pas de minute de silence, même pas une phrase à ce sujet. On a même eu droit à un "vous êtes bien silencieux, faut pas stresser" sur le ton de la rigolade. Comme si il n'y avait rien de plus important pour nous que cet exam de droit ce jour là."

• "C'est pas du tout facile"  

• "Vraiment touchant"


     



samedi 14 novembre 2015

Faire un cours l’air de rien au lendemain du 13 novembre 2015

L'Equipe, 14 novembre 2015
14 novembre 2015
Hier, 13 novembre, Paris a été lâchement attaquée au coeur de sa vie nocturne.
Ce matin, 14 novembre, je dois donner quatre heures de cours en amphithéâtre.
J’ai peu dormi, mal. Jusque tard dans la nuit à chercher des informations sur tweeter, reddit, les directs de la presse, de la radio, contacter les amis, savoir comment ils vont, rassurer, par téléphone, SMS, messenger… J’étais à Paris hier, mais je suis rentré, je suis en sécurité, chez moi, devant mon ordinateur et l’horreur.
Levé tôt, douche, café, puis aller chercher la presse et se rendre sur le campus.
Que vais-je faire? Je ne peux pas faire cours… Je dois faire cours. Un cours intitulé « Corps, sexes et cultures » consacré aujourd’hui aux loisirs corporels et aux stéréotypes qui les entourent, aux inégalités entre les hommes et les femmes dans le sport. Quelle futilité… quel non-sens.

Je suis entré dans l’amphithéâtre. Les étudiants étaient là, assez silencieux. Sur le tableau, un mot avait été écrit, invitant à rester debout face au terrorisme. Je l’ai lu ce mot. Je me suis tourné vers l’amphi. J’ai posé mon sac sur le bureau, ma sacoche, ma bouteille d’eau. Je n’ai pas sorti l’ordinateur. J’ai regardé chaque étudiant, chacune, chacun, un à une. Les étudiants me regardaient. Il en manquait. Normal, samedi matin, huit heures, c’est tôt. J’ai regardé encore ces visages puis je leur ai demandé de se lever pour respecter une minute de silence, un silence qui s’était déjà installé. Tout le monde se lève. Le recueillement est palpable. Des étudiants arrivent en retard, se dépêchent, comprennent, se mettent au diapason de ce silence là.

Je me mets à parler. Je ne sais pas ce que je vais dire; je ne sais pas ce que j’ai dit. Je me souviens de ma voix, grave, que je sens résonner en moi, qui me traverse et porte une intensité et une gravité que je ne me connais pas. Je suis ému. Je ne sais pas si je vais pouvoir faire cours l’air de rien, alors je le dis. Et je parle de Paris, hier, du beau temps, des terrasses de bar remplies, du Bataclan, de la joie qu’il y a quand on va ensemble à un concert.
Je dis que j’ai besoin de parler, que je ne peux pas faire cours. Et je parle. Je pose mes questions, je me demande comment on peut en venir à une telle horreur. Je m’interroge à voix haute, je ne fais pas de cours…
Le silence est total, les regards que je croise sont plongés dans les miens. Jamais je n’ai ressenti ça avec des étudiants. Jamais. Un silence à la fois glacial et de communion.
Puis des étudiants parlent. Des étudiantes portant le foulard s’expriment. L’une d’entre elles nous lit des versets du Coran. Ce cours est un cours transversal que peuvent suivre tous les étudiants de licence inscrits à l’Université Lyon1 dans la filière Sciences et techniques. Il y a dans cet amphithéâtre des étudiants français, parmi eux des étudiants musulmans, des étudiantes musulmanes portant le foulard, d’autres pas, des étudiants étrangers, noirs, asiatiques, Egyptiens (l’un a pris la parole, un autre est venu me remercier à la fin de cet échange…).

Une jeune marocaine nous parle de l’attentat de 2003 au Maroc. Elle parle longuement. Quand elle a fini de parler, elle se met à pleurer. Un autre étudiant au bord des larmes s’interroge sur comment on pouvait faire pour que l’on ne puisse plus en arriver à ça. Plus tard, une fois sorti, un jeune homme noir me dit qu’il ne m’a plus écouté pendant un moment, qu’il était vide, qu’il s’est mis à pleurer mais qu’il ne pouvait pas pleurer devant tout le monde et qu’heureusement, ça ne s’est pas vu.
Quels échanges, quelle écoute… Trois heures trente. Sans pause. Et les étudiants en retard qui viennent s’assoient et… restent. Après la pause des autres amphis, des étudiants entrent et me demandent s’il peuvent venir eux aussi parler…

On a parlé de tout. D’identité, de religion, de médias, de Charlie – forcément de Charlie – du 11 septembre, d’Al Quaeda, de Boko Haram et de Daech. Des Tchétchènes et des révolutions maoïstes d’Amérique du Sud, de Georges W. Bush et de l’Irak, des Palestiniens et d’Israël, des Juifs d’Israël et du Hamas, du Liban, de Beyrouth (on a même commencé par Beyrouth, c'était la veille, le jeudi 12), d’éducation, de la volonté de ne pas éduquer pour contrôler les consciences (et donc d’éduquer à des valeurs de soumission), de la rupture dans l’éducation, du devenir terroriste, de Dieudonné, de la musique, du plaisir, du respect, des conditions du respect, de la liberté d’expression, des esclaves, de Mohammed Ali, des réfugiés,… de tout je vous dis, de la peur, de la solidarité, des communautés, de comment on se crée des ennemis, même dans le sport, déjà dans le sport, comment on en veut aux autres, comment on fait de l’autre le responsable de ce qu’on vit, comment on est, toujours, l’autre des autres.

Des étudiants qui parlent qui s’écoutent… qui s’écoutent vraiment.
Pas une seule fois les voix ne se sont chevauchées.
Pas une seule fois en trois heures trente.
Malgré, on le sent, des tensions, des points de vue différents… Des étudiants qui restent là alors que ça ne sert à rien, qu’il n’y aura pas d’évaluation, que ce que l’on a fait ce matin est inutile…

Est-inutile?
Etait-ce inutile?
Rester trois heures trente à se parler, à s’écouter, ça arrive souvent? Rester ensuite, après trois heures trente pour encore parler, ça arrive souvent, le samedi matin quand on est étudiant?
J’aurais pu faire mon cours l’air de rien
Je n’ai pas pu faire le cours que j’aurais dû faire.
Show must go on !
Je sais.
A un moment, je me suis dit, c’est bon, maintenant, on va pouvoir faire cours…
Mais non, ça n’a pas été possible. Parce qu’il fallait se parler et que le cours n’avait pas de sens ce matin.
Le savoir formel n’avait plus d’importance.
Ce qui était important, c’était de pouvoir parler, d’apaiser ce qui nous traversait.
Parce qu’à travers les mots qui ont circulé, c’est la vie qui s’est propagée et l’espoir de l’intelligence qui s’est imposé sur la désespérance de l’ignorance.

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Sur l'effet de ce texte qui m'a échappé, lire Attentats du 13 novembre: Retour sur le témoignage d'un prof

Notes du 13 novembre 2017:
Il y a deux ans, j'écrivais ce texte, après avoir vécu une nuit quasi blanche à me demander, à imaginer,   à m'interroger, à avoir suivi, traqué même l'information, après avoir été soufflé par l'explosion émotionnelle qui a eu lieu ce 13 novembre là.
Aujourd'hui, pour ce triste anniversaire, je le dédie à mes filles auxquelles je ne cesse de penser lorsque j'apprends un événement tragique. L'inquiétude et l'angoisse sont deux armes qui distillent leur effets longtemps après les morts du Bataclan et des terrasses des restaurants.



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