samedi 15 janvier 2022

Yann Brënyàk bodmodeur

Yann Brënyàk était un bodmodeur, un de ces artisans qui sculptent le corps à coup de scalpel. Il avait une tronche de punk qu'on n'oublie pas: visage tatoué, piercings, oreilles, comment dire... c'était Yann. Et quand il n'était pas là, il manquait.


Yann Brënyàk
Voilà une des dernières images que je garde de Yann prise lors de l'interview qu'il m'a accordée à distance, sur zoom le 19 mai 2020. Aujourd'hui* sa mort a fait le tour des réseaux sociaux. Le monde des modifications corporelles et des bodmods est en deuil.

*(ce billet a été commencé le 3 novembre 2020 et, comme celui sur HannaH Sim, je n'ai pas pu le finir, trop affecté par leur décès. Le fait que je sois moi-même arrêté quelque temps pour des raisons de santé me permet d'y revenir, avec sans doute moins d'émotion mais tout autant d'intensité dans ce que j'ai conservé de leur rencontre)

J'ai appris la mort de Yann moins de six mois après qu'il m'a accordé l'interview dont je viens de parler.
La nouvelle m'a sauté aux yeux, déchiré le coeur. C'est difficile de dire comment une réalité d'une telle violence nous arrive, ce qu'elle produit en soi. Yann, je l'avais senti fragile, parfois bien paumé – et il le disait. Là, de nos échanges, je l'avais trouvé fort; il avait pris de la distance avec certaines personnes car elles étaient éloignées de ses valeurs. Il était amoureux. De l'amour qu'il vivait une petite vie avait déjà pris forme dans le corps de Laura. Depuis, Shayahn est né qu'il n'a pas connu.
Mais ça, je ne le savais pas encore. J'ai d'abord pris une bonne claque, une de celles que tu prends en scrollant Instagram ou Facebook et en relisant le message en allant chercher d'autres infos, fiables parce que non, c'est pas possible: une photo de Yann, sur Instagram, c'était un peu comme une évidence, tantôt avec une clé à la main, tantôt suspendu, tantôt celle d'un tongue splitting, d'une scarification qu'il avait faite puis recouverte d'encre de tatouage pour produire un tatouage en 3D, tantôt une oreille réparée après avoir porté un bijou trop large, tantôt une oreille sculptée... et ses storys, ses images et messages éphémères qui faisaient qu'on pouvait échanger dans l'instant alors qu'il était au Mexique, à Londres ou à Berlin. Ou chez lui aussi, dans un coin calme de la Suisse voisine.
Mais cette photo de Krousky, dont il a été un modèle régulier, m'a pris comme un coup de genou dans les reins alors qu'on se balade tranquillement sur un chemin de campagne. Enfin pas la photo, il y en avait déjà des séries de ce type: le mec au coeur d'or qui fait le bad guy, le doigt levé bien haut, perfection du fuck you style. Du plus pur Yann Brënyàk.


Mais quoi "like a slip in my face this news broke my heart"
What the fuck? Il dit quoi, là Krousky?
Je cherche. L'information circule vite, les images sortent, les message affluent, les témoignages...
Yann Brënyàk s'est envolé. Des échanges avec des proches effondrés le confirment.

Yann était un globe-trotter-bodmodeur, un de ces artisans du corps qui parcourent le monde – c'est un petit monde et pour gagner de la reconnaissance dans ce monde il faut de la technique et incarner des valeurs fortes, des valeurs humaines. Yann Brënyàk avait acquis cette reconnaissance. Il faisait ce que les médecins – nombre d'entre eux tout au moins – considèrent comme de la barbarie ou de la mutilation parce que ça n'entre pas dans leurs codes esthétiques et s'éloigne de leurs pratiques plastiques de normalisation des apparences.

Initialement, quand j'ai commencé ce billet, il y a plus d'un an, j'avais parcouru les moments partagés avec Yann. Le jour où il était venu avec moi à la Humboldt Universität zu Berlin pour parler de son travail avec les étudiantes et est étudiants de PAtricia Ribault en janvier 2016, sur le thème "Hacking the body" par exemple 


Et puis, j'ai préféré peu écrire, garder sa trogne et laisser flotter sa présence comme il flottait dans les 
airs


Yann Brënyàk à qui je viens de remettre l'INqualifiable, numéro spécial Punk!!!


 




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