La mort d'HannaH Sim m'a empli de peine.
Celle de Yann Brënyàk une semaine auparavant*, m'avait déjà beaucoup touché.
L'envol d'Hannah bouleverse toutes celles et tous ceux qui la connaissaient.
Plutôt Lalitha qu'humaine (lire les Amants étrangers de Philip José Farmer, The Lovers), Hannah (Nina pour sa famille) transformait qui la rencontrait.
Elle était la seule véritable Alien que j'ai connue.
Elle était d'ailleurs, regardait, sentait comme personne ne le fait sur notre terre.
Chaque geste d'elle était une découverte.
Elle est repartie sur sa planète et sans doute bien au-delà.
La première fois que je l'ai vue, c'était à Hambourg où elle jouait Joyce, avec Ron Athey.
Durant longtemps, Joyce se joue sans elle. On ne la voyait pas dans la pièce. Tout au plus apercevait-on à peine son visage à l'arrière d'un fenestron, en haut d'une sorte de tourelle rectangulaire où rien ne se passait, tandis que les artistes évoluaient sur scène de part et d'autre. Puis, elle sauta de la fenêtre, ou plutôt elle en déchira la cloison de papier et se jeta dans le vide où elle resta longtemps suspendue par les chevilles, tête en bas. Elle portait une robe, de ces robes années 1950. La robe, dans cette position lui tombait sur le buste, dévoilant ses fesses, son sexe. Elle essayait de les cacher, ramenant la robe vers le haut, sur ses genoux mais au bout d'un moment elle renonça. Elle finit par retirer la robe en la laissant glisser sur son torse puis le long des bras qui pendaient sous elle. Puis – je ne me souviens plus vraiment comment – elle a commencé à se toucher les cheveux (référence à Abramovic?), elle les coiffe peut-être ou tente de ne pas paraître ébouriffée, comme ça, tête pendante, hirsute. Puis, ses cheveux tombent et rejoignent la robe.
Elle portait une perruque.
Le corps d'Hannah pendu par les pieds est totalement nu, rasé, son crâne chauve.
Je me souviens de ce corps suspendu.
J'ai longtemps eu cette image en moi.
Je me souviens de l'intensité poétique que dégageait Hannah, dans cette pièce de Ron Athey.
Nous avons mangé avec toute l'équipe. Hannah n'était pas là. Elle arrivée tard, alors que le repas était bien avancé. Elle s'est assise en face de moi, seule place laissée libre.
Et c'est alors que j'ai rencontré HannaH Sim.
Grâce à Ron Athey.
Sans savoir qui elle était.
Et depuis elle est en moi.
Combien de temps passé ensemble faut-il pour que l'on sente l'autre en soi?
Combien de temps après son départ peut-on le sentir encore?
L'année suivante, j'ai vécu une semaine à Los Angeles, chez elle et Mark son compagnon à la fois dans la vie et dans le fabuleux duo Osseus Labyrint à la motricité humanimale. Une semaine, c'est peu de temps mais suffisamment pour sentir ce quelle avait en elle de désespérément bon, de radicalement autre et d'incurablement froissé.
HannaH, Mark, et IO, leur chien de rien.
Les compléments alimentaires et vitamines du matin, le travail quotidien du corps, le rasage lui aussi quotidien, jambes, bras, torse, aisselles, crâne, sourcils...
et la douceur.
Une douceur à broyer le coeur noyée dans des doses d'alcool à faire peur.
Et elles m'ont fait peur.
C'est HannaH qui m'a parlé des Badlands.
Pour ça, je lui en serai reconnaissant à vie
HannaH_Sim & Mark_Steger-Osseus Labyrint |
Aujourd'hui 10 janvier 2022, je lis ce brouillon d'un texte non terminé parce que le terminer alors aurais signifié la mort d'HannaH et je pense que je ne pouvais m'y résoudre.
La dernière fois que je l'ai vue, c'était à San Francisco. Nous avions fait le voyage depuis Seaside, Oregon, avec mes filles. Tout ce qu'elle possédait tenait dans la voiture pourtant déjà pleine de nos propres bagages. Nous l'avions déposée chez un ami qui devait l'héberger quelque temps. Nous l'avons revue le lendemain, avons mangé un bout dans Castro. Je me souviens qu'elle avait pris un verre de vin, un seul. Depuis mon séjour chez elle en 2003, c'était la première fois que je la voyais boire. Je n'avais jamais vu quelqu'un boire comme elle, comme on se fait un shoot d'héro.
Depuis, nos échanges avaient été sporadiques. Quelques mots sur messenger, quelques appels sur Skype. Elle m'avait appris qu'elle avait été sans abris durant un temps, qu'elle avait été violée, que son corps et son cerveau étaient abîmés. Il était toujours difficile de la contacter. C'était elle qui appelait.
Je ne savais pas encore, où je ne me souviens plus vraiment, si j'avais appris qu'elle était restée sans-abris durant un temps. J'ai imaginé comment faire pour retrouver – mais comment? par la police? par une association? – une femme, seule, sur un trottoir de san Francisco ou d'ailleurs. Était-elle restée à Frisco, avait-elle rejoint LA, était-elle dans une autre ville où elle aurait pu avoir un peu de réconfort?
Je l'avais écrite à l'aéroport, après mon tout dernier contact physique avec elle. Lors de la soirée festive qui a suivi la dernière représentation, c'était sa soirée à elle, c'était celle de Mark, leur soirée. Elle était restée près de moi à boire beaucoup, trop. Elle s'est effondrée à mes pieds, ivre-morte. Je l'ai portée jusqu'à un lit à l'étage puis couchée. Je lui ai fait mes adieux, me disant que peut-être elle les percevait dans son coma éthylique. Puis je sui parti après avoir dit à Mark, dépité et dans le dépit duquel j'ai senti une profonde tristesse, qu'elle était couchée, anesthésiée par l'alcool.
Une photo repostée récemment par Ron Athey sur Facebook ou Instagram, datant de 2013 – déjà – la montre en marge de "Gift of the Spirits" une performance collective d'écriture automatique animée par Athey en juillet 2013 à laquelle elle avait participé. Je crois que je n'avais pas eu de nouvelles d'elle depuis San Francisco. Je me souviens très bien ce cette image. Enfin, il y en avait deux. J'avais été content de la voir sur celle où elle est avec Ron sur l'épaule de qui elle a la main posée. Elle semble apaisée – mais qui ne le serait au contact de Ron?
Mais sur la seconde, celle où elle est prise avec ORLAN et Tobaron, je l'avais senti si triste que cette tristesse m'a hanté longtemps, à lui parler la nuit et pas qu'en rêve, à inventer des discussions, à lui demander où elle était, à me relever pour chercher des associations d'aides aux SDF (homeless people) à San Francisco, à tenter de trouver une image d'elle prise dans les bas-fonds de la ville, à lui dire que quand elle viendrait en France, que quand je retournerai aux USA... à essayer de ne pas imaginer son corps déchu, son corps dont elle faisait ce qu'elle voulait et que l'alcool détruisait, rendait vulnérable, si vulnérable, je ne pouvais pas l'imaginer inconsciente sur un trottoir, robe retroussée sur son sexe nu, exposée à la violence, à la maladie, au désespoir.
ORLAN, Tobaron, HannaH_Sim |
Je ne savais pas encore, où je ne me souviens plus vraiment, si j'avais appris qu'elle était restée sans-abris durant un temps. J'ai imaginé comment faire pour retrouver – mais comment? par la police? par une association? – une femme, seule, sur un trottoir de san Francisco ou d'ailleurs. Était-elle restée à Frisco, avait-elle rejoint LA, était-elle dans une autre ville où elle aurait pu avoir un peu de réconfort?
Savoir qu'elle était à la rue – ou qu'elle y avait été – a été sans doute la douleur la plus intense avant l'apprentissage de sa mort. Forcément, j'imaginais l'alcool qu'elle devait ingurgiter comme on se shoote, pour tomber vite, flotter ailleurs, n'importe où, ne plus sentir la merde que sentent les bitumes de toutes les villes où crèvent les corps étiolés, évités, ignorés, boire pour ne plus avoir peur de rien, boire pour mourir aussi, chaque jour, jusqu'au dernier.
J'ai quelque part, chez moi, une longue lettre écrite à HannaH en 2003, alors que je quittais Los Angeles où j'étais allé voir Modern Prometheus. J'avais fait l'aller-retour ou presque. Mark et HannaH avaient donné un spectacle très technologique, contrairement à la plupart de leurs performances habituellement plutôt minimalistes.
Modern Prometheus |
Modern Prometheus |
Je l'avais écrite à l'aéroport, après mon tout dernier contact physique avec elle. Lors de la soirée festive qui a suivi la dernière représentation, c'était sa soirée à elle, c'était celle de Mark, leur soirée. Elle était restée près de moi à boire beaucoup, trop. Elle s'est effondrée à mes pieds, ivre-morte. Je l'ai portée jusqu'à un lit à l'étage puis couchée. Je lui ai fait mes adieux, me disant que peut-être elle les percevait dans son coma éthylique. Puis je sui parti après avoir dit à Mark, dépité et dans le dépit duquel j'ai senti une profonde tristesse, qu'elle était couchée, anesthésiée par l'alcool.
Je n'ai pas dormi de la nuit. J'ai attendu plusieurs heures l'avion pour Roissy et j'ai écrit cette longue lettre manuscrite sur des feuilles de format A4.
J'ai aimé HannaH, comme on aime une Alien.Sans rien attendre d'autre que son départ.Mais ce départ, quand même, il fait encore mal
And maybe the picture I love the most, shared by Mark on Instagram when she passed
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire