jeudi 9 juillet 2015

Débat autour des Body Hackers

Petit compte rendu par Tonio Libero du débat que nous avons réalisé avec Morgan Dubois le 16 juin 2015, au Lavoir public (Lyon 1er) à propos des modifications corporelles, plus particulièrement sur la thématique des body hackers.

J'ai développé la trame de mon intervention ici: les body hackers sont parmi nous.

Tonio a fait son propre compte rendu de la soirée ici avec un storify... Il y a quelques approximations, normal, quand on prend à la fois des photos, qu'on twitte et qu'on suit une conférence... mais ça rend compte de la trame globale de l'intervention.
Ça laisse surtout pas mal de traces photographiques, ce pour quoi je le remercie, bien évidemment.
Morgan Dubois et Philippe Liotard
sous la protection de Stelarc

samedi 4 juillet 2015

Mort d'une sale punk


Laeti - sale punk
Laëtitia Petrelluzzi est morte en mars 2015. Elle était photographe.
C'était une sale punk.
Ses doigts tatoués l'affirmaient.

Je n'aurais sans doute pas écrit ce billet si je n'avais pas utilisé une photo d'Endorphins Rising, de Dijon pour l'article que j'ai consacré aux suspensions (Body Suspensions, le corps éprouvé).  Veg Silencio m'a contacté pour que j'indique les droits des photos qui y figurent. Nous avons commencé à échanger sur les suspensions. Il m'a fourni de nouvelles photos pour l'article que j'ai écrit pour la revue des Sciences sociales (parution septembre 2015).
Parmi elles, il y avait la photo ci-dessous, à droite, prise par Laetitia Petrelluzzi, la dernière qu'elle ait faite avant de mourir.
Photo Laetitia Petrelluzzi, prise à Dijon
Laëti et Krousky
Je n'aurais pas non plus écrit ce billet sans cette photo où elle pose avec un autre photographe, Krousky, qui l'utilise comme photo de profil sur Facebook.
Elle est accompagnée d'un texte écrit le 7 mars. Juste après sa mort, donc. Le texte de Krousky est celui d'une personne saisie par la mort, une mort qui l'a surpris, un texte dans lequel il expose son amour et la sidération du départ prématuré de Laëtitia.
La photo de Krousky et de Laëtitia a fait ressurgir des émotions ressenties il y a quatre mois, à peu près jour pour pour.

Lza par Laëtitia Petrelluzzi
Sa mort, je l'ai apprise en effet par une photo postée le 6 mars sur le mur Facebook d'Lza que j'avais interviewée peu avant pour le projet de documentaire audio Ceci est mon corps. La série de photo d'Lza par Laëtitia est d'ailleurs parmi celles que je préfère.


J'ai alors vu de nombreux autres témoignages, comme on en voit beaucoup lorsqu'une personne disparait. Ils étaient tous accompagnés de photos de Laëtitia, pétillante, souriante, espiègle, joueuse.

Avant sa mort, j'avais déjà croisé Laëtitia, virtuellement. Passant du temps sur son profil Facebook. Je ne l'avais pas encore contactée, mais j'avais été attiré par elle, par ce qu'elle manifestait, par son insouciance apparente, ses tatouages, son sourire, les crochets placés sur ses bras ou dans son dos pour des suspensions. Alors que j'avais entrepris de faire une histoire de la culture punk, essayant de rencontrer des personnes de diverses générations pour comprendre sa diffusion et ses mutations, son profil s'est affiché comme une sorte d'apparition. Alors que je terminais un travail sur les suspensions, je me disais qu'elle pourrait peut-être me confier son témoignage.

Photo de Krousky
Crochets placés par Be Ju
D'autant qu'elle condensait toutes les pratiques ludiques liées au piercing, au body play... le corps comme terrain de jeu, y compris pour des jeux difficilement compréhensibles pour les personnes qui sont en dehors de ces communautés qui mettent le corps à l'épreuve.


Ce billet est l'expression d'une tristesse pour une personne qui, virtuellement, comptait déjà pour moi, ce qui bien évidemment, peu sembler surprenant.
Tatouage original Punky Tattoo
Tatouage originale Encre Mécanique
Pourtant, ce que j'ai vu d'elle (de sa mise en scène sur Facebook, du réseau relationnel affiché) explosait d'originalité, dans un métissage d'hyper-féminité et de marques punk. Ses tatouages étaient autant de provocations dérisoires à l'ordre du monde, de traits d'humour inscrits sur le corps d'une très jeune femme ayant adopté le "fuck you style".

Elle fait partie des rencontres désormais impossibles. Mais, à sa façon, elle a pris sa place dans l'histoire du corps punk à laquelle je travaille. Elle a montré qu'on pouvait être "une sale petite punk" pleine d'humour et de charisme, et que le corps du punk n'est pas qu'un corps désolé.

Le tumblr de Laetitia Petrelluzzi, filledemauvaisevie



dimanche 28 juin 2015

Pour l'interdiction de Lewis Carroll et contre la décapitation

All the time they were playing,
the Queen never left off quarreling with the other players
and shouting,
"Off with his head!" or "Off with her head!"

Lewis Carroll Alice's adventure in Wonderland

Un homme a tranché une tête en France. Artisanalement. Avec un couteau.
Il a ensuite tenté de rationaliser la barbarie de son acte par un combat politique.
Il a posté une photo de lui, posant en bourreau avec la tête de sa victime, comme les chasseurs ou les pêcheurs devant le cadavre de leurs prises.
Une des questions qui se posent est de savoir comment un homme peut en venir à couper la tête d'un autre homme, froidement, dans la vraie vie, et dans un pays qui ne punit plus les criminels en leur coupant la tête depuis 1981.
Peut-être cet homme s'est-il inspiré de pratiques médiatisées par des assassins multirécidivistes, des hors-la-loi prosélytes.
Aussi, après l'interdiction d'Internet pour éviter que ne s'y propagent des images dérangeantes et des arguments fallacieux, celle de Twitter et de Facebook pour les mêmes raisons, de WhatsApp pour que des malades du même ordre ne puissent diffuser leur crime, je demande à ce qu'on interdise la publication et la diffusion sous toutes ses formes (livre, BD, Dessin animé) d'Alice au Pays des Merveilles dans lequel la Reine ne cesse de réclamer "qu'on lui coupe la tête", dès lors qu'elle rencontre une contrariété. Et ceci pour protéger nos enfants de dangereuses dérives criminelles futures.

lundi 22 juin 2015

La langue des signes: une langue en soie, un corps en mots

Non, non, il n'y a pas de faute d'orthographe dans le titre.
La soie, c’est une étoffe légère, précieuse, qui permet de fixer des couleurs éclatantes. La soie, c’est aussi le poil du cochon ou du sanglier dont on fait des brosses d'une qualité inégalable, d’une douceur ou d’une dureté parfaites selon la manière dont on le travaille, et même, comme c'est le cas des blaireaux à barbe, d'une douceur ferme. La soie, c’est enfin une partie effilée du fer d’une lame d’épée ou de couteau qui permet de la fixer dans son manche.

Dire que la langue des signes est une langue en soie, c’est donc bien sûr un jeu de mots. Elle est d'abord une langue en soi, c’est-à-dire une langue à part entière avec son vocabulaire, sa syntaxe, ses dénotations et ses connotations, reconnue officiellement en France depuis 1991 (seulement).

Elle est aussi une langue en soie au triple sens du mot soie. C'est ce que je me suis dit le jour où j'ai découvert la langue des signes. Le premier aperçu, je l’ai eu lors du festival "Regards d’avril" en 2014, notamment Fleur et Couteau avec Anthony Guyon et Un enfant assorti à ma robe sur un texte de Fabienne Swiatly, interprété par Anne de Boissy et Géraldine Berger. Ce festival de création en langue des signes propose aussi des créations bilingues et mêle théâtre, danse, poésie et ateliers artistiques (le festival se tient les années paires au NTH8).

Et puis cette année, le samedi 20 juin 2015, j’ai été invité à être membre du jury d’un concours de clips de chant signe (ou chansigne) organisé par la compagnie ON/OFF, dirigée par Anthony Guyon, dans le cadre des « Nuits des Hiboux ».
C’est là que j’ai pu voir que la langue des signes est une langue en soie.
De la soie du sanglier, elle peut avoir la douceur et la dureté selon l’intention de celui ou de celle qui parle. De l’étoffe, elle a la souplesse, la finesse, la lumière . Quant à la soie de l’épée? La langue des signes fiche la communication dans la chair, elle l’ancre dans le corps d’où elle tire sa force.
Bref, parler avec son corps, produire et exploiter une langue à partir d’une motricité inventée sans cesse, ça n’est pas rien, d’autant que les nuances son infinies, comme celles d’un ciel.

Alors, le chant signe, c’est quoi? C’est une forme chantée en langue des signes. Une chanson sans le son ou plutôt une chanson avec le son (pour les entendants) et la poésie du texte, la rythmique du corps (pour les sourds). Je ne suis pas sûr d’être très clair, ni très précis, d’autant que parmi les clips visionnés il y a avait des choses très différentes: une chanson de Céline Dion ou bien Happy, le titre planétaire de Pharrel Williams (clip classé troisième, qui met en scène des adolescents de Toulouse), des clips sur les exécutions de Charlie-Hebdo du 7 janvier 2015, un récit d’une dispute conjugale, un clip très musical « Bête de somme », création classée deuxième… Bref, il y avait de tout.
Le classement se faisait à partir de quatre critères: d’abord l’émotion ressentie à la vision du clip, ensuite la qualité artistique du clip (originalité, montage, scénario, photo…), puis la qualité expressive en langue des signes et enfin (si cela était le cas et pour les entendants), le lien avec la musique.
Le jury était doublement paritaire, deux femmes, deux hommes, deux sourds, deux entendants:
les deux femmes: Marie-Emmanuelle Pourchaire, du NTH8 et Emmanuelle Laborit, une des rares star de la communauté sourde, directrice de l’International Visual Theatre (IVT), révélée au grand public pour son rôle dans Les enfants du silence qui lui a valu le Molière de la révélation théâtrale en 1993
les deux hommes, Christian Coudouret qui représentait la Fédération Nationale des Sourds de France
et moi-même, en tant que sociologue travaillant sur le corps, son éducation et ses techniques.
Marie-Emmanuelle Pourchaire, Philippe Liotard, Emmanuelle Laborit, Christian Coudouret
Jury du Clip de Chant Signe, Cie ON OFF, NTH8 2015

Les échanges au sein du jury ont été d’une rare qualité et d’une grande sensibilité. Ce moment a attesté de la capacité que nous avons à nous rencontrer, malgré nos deux langues ou grâce à elles et à ce que chacune d'elles peut dire du monde. Les interprètes sont nécessaires bien sûr. Je suis un analphabète en langue des signes mais la présence des interprètes d'Ex-aequo a entretenu la qualité du dialogue.  Mais ce qui est remarquable, c’est la manière dont deux cultures peuvent s’entendre, au sens fort du terme, dès lors qu’elles s’accostent pour se découvrir.
Emmanuelle Laborit annonce le 1er Prix
devant Philippe Guyon, jupe noire
et Anthony Guyon, jupe rose
(Soirée Tu as pris ta jupe?)



Le jeu sur la langue, le jeu de la langue est ce qui m’a le plus marqué dans la langue des signes: la recherche des manières les plus justes de signer (de dire) quelque chose, l’invention permanente pour créer des nuances, atténuer ou souligner un propos et l’engagement total du corps, au-delà du vocabulaire, par les mimiques, le regard, l’intensité d’un geste, la flexibilité d’un mouvement. Je reviendrai sans doute à tout cela plus tard, à cet apprentissage moteur à vocation exclusivement expressive.
Laëty - Sensass, 1er Prix du clip de Chant Signe, Lyon 2015

Le premier prix a été attribué à Sensass de Laëty que je mettrai en ligne ici dès qu’il sera disponible. Participant au prochain festival Clin d'Oeil à Reims, il n’est pas encore diffusable, mais ça ne saurait tarder.
Pour illustrer ce que fait Laëty, voici Radicale, une vidéo de Thomas Rault dans laquelle elle signe Demain c’est loin, du groupe français de rap I Am, une performance que je trouve époustouflante et qui montre que le chant signe n’est pas le mime, qu’il s’agit d’autre chose qui rajoute de l’émotion... là où il y en avait déjà.
Laëty signe Demain c'est loin d'I AM
Pour voir le travail de Laëty, voir aussi la page où elle rassemble différentes prestations dont Feminem où elle signait avec Delfi Saint Raymond avec laquelle elle a déjà remporté le prix ONOFF du clip de chant signe.

Comme jury, j'ai aussi ressenti l’émotion d’être baptisé et de recevoir « mon signe », celui qui permet à chacun d’être identifié dans la communauté, signe qui a été proposé par Emmanuelle Laborit herself. En un signe, je suis désigné au groupe  et je peux me présenter…
"mon" signe, le voilà: il consiste à rapprocher le pouce et l’index et à venir les placer deux fois de suite sur le lobe de mon oreille droite, un signe qui vient du bijou que je porte, anneau placé à l'horizontale. En langue des signes, je suis un peu The Lord of the ear ring ;-)

mercredi 3 juin 2015

Faites là où on vous dit de faire. Notes sur une expérience de partage avortée

Je rentrais du Conseil pour l'égalité entre les femmes et les hommes de la Ville de Lyon, présidé par Thérèse Rabatel. Le thème du jour était la pauvreté des femmes.
Le Secours populaire, le Secours catholiques, Femmes solidaires, le GAMS, le CIDFF sont intervenues, à la suite de la mission d'observation et d'évaluation de la ville, pour présenter un état des lieux de la pauvreté à Lyon et ses conséquences pour les femmes.
La pauvreté cartographiée
On y a parlé des situations de détresse générées par un retard de paiement de la CAF, de la nécessité de pouvoir retirer juste 5€ au guichet de la poste et de tenir 3 jours avec ces 5 euros..., de ces femmes qui ne vont pas chez le coiffeur, qui ne se maquillent pas, qui ne mangent pas, qui sont encore plus soumises à l'isolement, à la honte, aux violences... parce que pauvres, de celles qui tout en ayant un enfant de moins de trois ans ne trouvent pas d'hébergement...

Puis, en rentrant chez moi, j'ai senti de la colère.

La veille un espace coopératif venait d'être volontairement détruit par les services de la ville, appuyés par les forces de sécurité, CRS, police nationale et police municipale. Après avoir été détruit par des pelleteuses, l'espace a été muré, grillagé, surveillé afin d'en interdire l'accès. Il s'agissait d'un jardin partagé, le Jardin des pendarts, initié par le collectif la Ruche de la Croix-Rousse. Le jardin avait été rénové, avec des bancs, mais aussi des plantations de légumes, des composts, et même... des poules. Tout appartenait à tous. Un peu dans l'esprit du Sous-Commandant Marcos, depuis les montagnes du Chiapas ("Tout pour tous").
Cet espace, était un exemple de ce que l'on peut faire ensemble, au cœur de la ville.

Au conseil de l'égalité, le secours catholique dans sa présentation de la pauvreté à Lyon a pris l'exemple d'une femme de la Croix-Rousse, précisément. Sonia, une femme active, avec une vie sociale et relationnelle riche, mais une femme pauvre, seule avec ses enfants...
Cette même femme qui, peut-être, pouvait jusque là profiter du jardin des Pendarts en venant chercher un oeuf pondu par les poules, une salade, quelques radis; qui pouvait aussi récupérer un tee-shirt ou un pantalon pour ses enfants, parmi les vêtements posés là par celles et ceux qui préféraient les donner plutôt que les jeter; qui pouvait aussi prendre un livre pour elle ou pour ses enfants, les femmes et les enfant pauvres lisent aussi.
Au lieu de cela, cette femme pauvre de la Croix-Rousse pourra passer devant le jardin des Pendarts tous les jours en montant chez elle et voir le double grillage qui a été installé,  les portes murées, les fenêtres condamnées par des plaques métalliques et... le jardin détruit à coup de pelleteuses.

Parce qu'à Lyon, la solidarité ne s'auto-organise pas. Elle se décrète. Elle s'énonce. Elle se discute dans les grands et beaux salons de l'Hôtel de Ville, ceux-là mêmes où nous avons discutés de la pauvreté des femmes... Mais qu'un territoire temporaire de solidarité se crée sur un espace laissé vide, dans un terrain laissé à l'abandon, c'est insupportable.
Que des voisins se réunissent, se parlent, partagent en dehors de la désormais institutionnelle "faites des voisins", que des jeunes du quartier viennent le soir discuter avec les "darons" et se poser dans ce jardin parce qu'ils s'y sentent bien, ça n'est pas supportable dans la métropole qui se déshumanise. Que des lieux de rencontre s'instituent par la simple volonté de celles et ceux que la classe politique appelle à faire leur devoir de citoyen à l'approche de chaque échéance électorale, ça n'est pas acceptable.
Mais surtout que ces initiatives de partages ne gênent pas le voisinage, qu'elles produisent au contraire un espace de quiétude, ça n'est pas tolérable.
D'où la nécessité du recours à la force publique pour nettoyer tout ça afin que le peuple comprenne enfin qu'il faut faire là où on lui dit de faire.

Dans quelques mois, Sonia, la jeune femme de la Croix-Rousse pourra raconter au Secours Catholique qu'elle passe désormais chaque jour devant un immeuble flambant neuf, dans lequel elle ne pourra jamais vivre et à la place duquel, naguère, se trouvait un jardin où elle venait cueillir des radis bleus.



"La consigne, c'est la consigne, bonsoir"

Le Jardin des Pendarts
Volontairement détruit puis grillagé


jeudi 28 mai 2015

François Bon: Un corps qui lit. Autour d'une lecture performance de Fictions du corps

Le texte est sorti une nouvelle fois de lui.

François Bon, aux Subsistances, pour les 9è Assises Internationales du Roman organisées par la Villa Gillet, a craché ses fictions du corps lues avec ses tripes.

Le texte était sorti une première fois de lui entre 2012 et 2014 pour donner 48 fictions du corps, autant de notes sur les hommes inutiles, les hommes fragmentés, les hommes qui voient la nuit, les hommes jetables ou encore sur l'homme rien, l'homme transparent ou l'homme qui se tait...

Et puis le 27 mai, le texte est sorti de lui une nouvelle fois.
François Bon n'a pas lu Michaux, accompagné de Dominique Pifarély au violon et au moulinage numérique sonore, il a lu François Bon.
Et ça donne tout autre chose qu'une lecture solitaire des Fictions du corps.
Car François Bon est un corps qui lit.
Un corps qui s'engage dans chaque mot, un corps qui donne au texte une force nouvelle.
Le corps de François Bon qui se lit gonfle les mots de chair, de souffle.

Devant son micro Sennheiser MD-441, le même que celui de Dylan ou de Zappa, Bon exhibe son corps du rock, gueule son texte comme Keith Richards claque ses riffs, le scande comme John Bonham frappe ses futs... tout en force, tout en finesse, tout en rythmique. Tout en poésie aussi.

Le texte modulé, amplifié, trituré, frappe le public alors que Bon claque des doigts, tape du pied et le déclame comme on chante le blues.

Dominique Pifarély
Quand c'est fini, que la lumière se fait, le public est surpris de l'arrêt de ce corps qui lit, qui redevient corps humain, social, privé de l'énergie électrisante du rock et se met à sourire, remercier le public, les techniciens.
Quand François Bon lit les Fictions du corps, il lit comme chantent Robert Plant ou Iggy Pop, charnellement. Et c'est bon.

le micro Sennheiser MD-441 attend son maître...

mardi 14 avril 2015

Marc Naimark Why

Marc Naimark, Chicago 2006, Gay Games
Photo mise en ligne par Charlie Carson
Marc Naimark nous a quitté volontairement, il y a quelques jours (le 9 avril 2015). Je n'arrête pas de penser à lui depuis que j'ai appris la nouvelle par Manuel Picaud sur Facebook. La nuit, il est dans mes rêves... Et je repense à ce blog que j'ai ouvert il y a près de cinq ans maintenant, le 30 octobre 2010. Le premier billet s'intitulait "Le Corps au centre des réflexions".
Marc m'avait envoyé ce commentaire: "Bravo pour ton nouveau blog. Pour ce qui est des corps, il y en a des vieillissants et daltoniens qui ont du mal à le lire". C'est le seul commentaire que j'ai reçu mais il m'avait touché. Marc était ouvert, curieux d'une curiosité de l'enfant qui cherche par tous les moyens à répondre à la question qu'il se pose...
... d'une curiosité positive, de celles qui font avancer.

En 2006, j'ai vu Marc à Chicago pour les Gay Games. Il a pris les seuls photos que j'ai de moi à l'épreuve de force athlétique. Je ne connaissais personne. Il était comme un grand frère, attentif, protecteur, tout en tendresse.
En 2008, Marc avait traduit le texte de Tom Waddell "Why the Gay Games" pour Sport et homosexualités, le petit ouvrage que j'ai édité suite au colloque de Lyon de 2006. Nous avions passé des heures à discuter de la nécessité de se plier aux contrôles antidopages pour les Gay Games. Il comprenait les enjeux symboliques comme les effets pervers de chaque décision et n'avait de cesse de travailler à ce que soient faits des choix en cohérence avec l'esprit et les valeurs des Gay Games.
Une fois que je l'avais rejoint à Paris à ce propos (il était préoccupé pour les Gay Games de Cologne sur cette question des tests antidopage) nous avions circulé dans le vingtième arrondissement de Paris, autour de Gambetta. J'avais découvert une autre facette de son militantisme. Un engagement quotidien dans son quartier. Il y avait une animation associative. Il connaissait tout le monde. Il m'a expliqué son quartier. Je sentais qu'il y était bien et voulait que tout le monde y soit bien.
C'était là le sens de ses engagements: travailler au bien commun, à une société respectueuse des différences.
Nos derniers échanges ont concerné le rapprochement auquel il travaillait avec l'OIF (l'Organisation Internationale de la Francophonie) pour Paris 2018. Lui, l'Américain si précis en français, si bon défenseur de notre langue faisait un très bon négociateur pour la francophonie. Il m'avait également demandé les coordonnées d'Irène Théry qu'il voulait inviter pour une émission d'homomicro sur l'homoparentalité et la procréation médicalement assistée. Il m'avait aussi demandé de venir un lundi soir pour parler du sport gay et lesbien et des Gay Games dans l'émission qu'il animait.
Il était derrière le micro, derrière l'appareil-photo, derrière son écran à parler et à montrer d'autres que lui.
Il me paraissait infatigable. Toujours à l'affut de ce qu'il pouvait faire pour améliorer les choses, sans jamais se mettre en avant. Il avait des analyses si pertinentes et des propos si justes qu'il ne pouvait pas être compris par tout le monde. Son intelligence fine l'amenait à une perception acérée du monde. Il observait les injustices qui le mettaient en colère, surtout quand les pouvoirs chargés de les atténuer ne faisaient rien pour les combattre.
J'aimais aussi l'humour tout en ironie qu'il utilisait pour dénoncer les absurdités du monde. Le caractère corrosif de certains de ces billets et la manière qu'il avait de mettre en avant ce qui lui paraissait juste, ou beau, de dire l'amour de ce qu'il aimait, de ceux qu'il aimait.

Aujourd'hui encore, je suis triste. Pour lui. Pour la souffrance qu'il avait en lui et qu'il effaçait pour se mettre au service des autres.  Pour les personnes qui l'aimaient et qui se demandent Why Marc? Why?


ps: En écrivant ce billet, je pense plus particulièrement aux personnes avec qui j'ai travaillé pour une raison ou pour une autre aux côtés de Marc: Manuel Picaud, Chriss Lag, Armelle Mazé, Pierre Deransart, Emy Ritt, Christelle Foucault...

Le jour où j’ai stoppé les Popovs dans le Bugey* « Comme il faut mal aimer son peuple pour l’envoyer à des choses pareilles. À présent je...