Mon voisin fatigué vit encore.
Sa bonté est connue de tout le quartier.
Sa générosité conduit à lui celles et ceux qui ont besoin de chaleur, de sourire, de paroles ou de pain.
On dit qu'il a le coeur sur la main.
On n'imagine pas qu'il s'agit d'un coeur d'occasion.
C'est une bonne occasion, une première main qui a peu servi.
On en a beaucoup parlé de ce coeur, avant qu'il ne soit d'occase. Bien avant qu'il ne batte dans le corps de mon voisin, il fut le premier coeur artificiel implanté sur un patient vivant.
C'était en 2013.
A l'époque, les coeurs artificiels n'étaient pas encore commercialisés. A propos de celui-ci, on a parlé d'une réussite "made in France", d'un implant révolutionnaire, d'une prouesse technique... Finalement, on a peu parlé de son premier propriétaire, sinon pour dire que l'opération s'était déroulée correctement, qu'après deux jours il se portait bien et qu'après 19 jours encore, le patient allait "aussi bien que possible [...] Malgré une pathologie assez lourde, il donn[ait] satisfaction aux équipes médicales et post-opératoires".
On sait donc que le coeur était fonctionnel et qu'il a prolongé la vie de celui qui a reçu dans sa cage thoracique cette pompe de matériaux biosynthétiques micro poreux.
On ne sait pas en revanche si le coeur se serrait à l'évocation d'un ancien amour ou à la vue des proches.
Les médecins n'ont rien dit sur les qualités de coeur de ce nouveau coeur.
Le porteur était bien portant. Puis il s'est éteint, comme tous les êtres de chair de son époque, aussi appareillés soient-ils.
Pour la première fois, le coeur a résisté au patient.
A sa mort, le coeur a été restitué à l'entreprise qui, après avoir oeuvré à la création et à l'implantation du premier coeur artificiel, a – fort logiquement – créé une filiale spécialisée dans la commercialisation de coeurs d'occasion.
Et au prix de la pièce neuve...
Qu'une personne comme mon voisin ait pu en profiter, c'est tout de même quelque chose.
Lui qui a si bon coeur.
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