lundi 11 avril 2011

Gbagbo, le corps de l'ex ou l'effacement du pouvoir

"Le Président" Laurent Gbagbo
Arrestation de Laurent Gbagbo

Il est des images qui marquent. Celles de la déchéance des élites est de celle-là.

Le corps du Roi incarne le pouvoir. Celui du président aussi.
Mais le roi a deux corps nous dit Pierre Michon (Corps du roi, Verdier, 2002) reprenant l'essai d'Ernst Kantorowicz (Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Age, Gallimard, 2000).

Lisons Michon qui semble parler de Laurent Gbagbo, mais qui pourrait tout aussi bien renvoyer à Nicolae Ceaucescu ou Saddam Hussein:
une photo truquée
diffusée sur Internet
dans les premières
heures de l'arrestation de
Gbagbo
"Le roi, on le sait, a deux corps: un corps éternel, dynastique, que le texte ironise et sacre, et qu'on appelle arbitrairement Shakespeare, Joyce, Beckett, ou Bruno, Dante, Vico, Joyce, Beckett, mais qui est le même corps immortel vêtu de défroques provisoires; et il a un autre corps mortel, fonctionnel, relatif, la défroque, qui va à la charogne, qui s'appelle et s'appelle seulement Dante et porte un petit bonnet sur un nez camus, seulement Joyce et alors il a des bagues et il est myope, ahuri, seulement Shakespeare et c'est un bon gros rentier à fraise élisabéthaine"
D'un côté, donc, le corps du pouvoir, en costume, cravates ou en uniforme. De l'autre le corps déchu de l'ex, mal rasé, ahuri d'être arrêté, malmené, voire exécuté.

Le roi a deux corps. Celui qui parade et incarne la force indestructible chez Ceaucescu, Hussein ou Gbagbo.
Et le corps de l'ex, renversé, exposé dans son rabaissement, privé des attributs lui conférant prestance et assurance.
Le corps de Gbagbo, en maillot de corps, hébété, ou empoigné par un soldat (même si la photo est truquée, elle est diffusée), celui d'Hussein, hirsute, plaqué au sol... redeviennent des corps humains. Simples humains, à la merci de la violence des soldats, des milices, des polices qu'ils orientaient naguère. Simples ennemis

Le roi a deux corps, son épouse aussi. Le corps glorieux de Mme Simone Gbagbo, élégante, coiffée et maquillée, droite, aux robes colorées impeccables, qui, aux côtés de son mari, figure la distinction des "grandes dames".
Le corps humain de Simone Gbagbo accompagne la déchéance de son mari lors de son arrestation comme Elena Ceaucescu a accompagné le Conducator dans la mort. Décoiffée, non maquillée, son statut de femme du chef la rend encore plus vulnérable.
L'humiliation qu'elle subit renforce le rabaissement de l'ex-président. L'article de Jean-Philippe Rémy, "Soudain Gbagbo est là" dans Le Monde du 12 avril 2011 rapporte d'ailleurs le traitement dont elle a été l'objet au moment de son arrivée à l'Hôtel du Golf: "Des mains furieuses ont mis ses habits en lambeaux, ont fini d'arracher ses tresses par pleines mèches de cheveux. Un soldat exhibe un morceau de sa chemise..."
Saddam Hussein lors de son arrestation

Le nouveau pouvoir les soumet désormais à son arbitraire. Il met en scène leur chute en exhibant leur corps "mortel, fonctionnel, relatif" qu'invoque Michon, les montrant surpris en maillot de corps, la barbe non taillée, non coiffée...
Cette rhétorique de l'image supprime la dignité de l'homme d'Etat et l'institue en prisonnier de droit commun.

Le roi est nu, barbu, déchu. Le roi n'est plus. Le président non plus.


dernière mise à jour le 12/04/2011 à 14h00 environ...
Saddam Hussein sur son trône
Saddam Hussein lors de son arrestation

1 commentaire:

  1. Hélas, c'est quand ce corps déchu est montré que l'empathie nait en nous, et avec, cette compassion que l'on aimerait parfois ne pas voir brouiller la dureté que nous dicte notre raison. Ce qui rabaisse aux yeux de ceux qui adhèrent encore à la représentation mythique du pouvoir, et qui adopteront un autre maître aussitôt le précédent abattu, élève aux yeux de ceux qui ont pour image la plus haute de l'homme, les figures de Diogène, Jesus, Ghandi, et tous les mendiants célestes de l'histoire de l'humanité

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