samedi 22 octobre 2011

le corps lynché de Kadhafi exutoire ou barbarie?

après avoir été lynché, kadhafi est exhibé
chacun voulant poser devant le cadavre...
Voilà, encore un billet qui prend pour prétexte le corps d'un dictateur, encore une histoire de tyran déchu, encore une histoire de corps exposé. Après celui de Saddam Hussein, celui des époux Ceausescu, l'histoire de rejoue avec l'exhibition du cadavre de Mouammar Kadhafi.
En ce qui concerne ce dernier, dès les premières informations, l'histoire paraissait jouée: première brève, le tyran a été arrêté puis – seconde brève moins de deux heures plus tard – il est mort. Fin de l'histoire.
Kadhafi arrêté, battu, exhibé, humilié
sera bientôt exécuté
Mon blog n'avait pas cette vocation, mais je ne peux que constater l'impact médiatique de la mort de personnalités – qu'elles soient appréciées comme Isabelle Caro, adulées comme Amy Winehouse, idolâtrées comme Mickael Jackson ou honnies comme Laurent Gbagbo, Mouamar Kadhafi ou Oussama Ben Laden.

"Gaddafi Moment of Capture"
Capture d'écran d'une video de
l'arrestation de Kadhafi
Néanmoins, je ne vais pas discuter de ce que nous dit la mort de personnages célèbres. Je vais plutôt me centrer sur la mise en image du corps de ceux qui, durant leur vivant, ont focalisé la haine sur eux. Le tyran déchu arrêté exposé, son corps maltraité, puis, le cas échéant son cadavre exhibé comme un trophée, tout cela constitue un formidable outil pour comprendre la société. Ces mises en scènes du corps mort révèlent en effet bien plus que la simple attestation du décès de ces personnalités. Elles traduisent comment le corps du chef n'existe que dans sa superbe. L'affirmation de sa supériorité sur le peuple tient à l'incarnation du pouvoir. Son corps est pouvoir et Kadhafi sans doute plus que bien d'autres en a joué.

Kadhafi mort et ensanglanté:
son cadavre en Une
le 21 octobre 2011
Son arrestation et sa mort auraient pu se comprendre comme l'épilogue d'une guerre civile, dont une partie des protagonistes était appuyée par l'OTAN. L'histoire retiendra sans doute seulement ceci: la mort de Kadhafi lors de la prise de Syrte, le 20 octobre 2011.

Le cadavre de Kadhafi,
photographié, filmé:
lynchage et exhibition
sur le web 2.0
Kadhafi sur les murs
de la Demeure du Chaos
Cependant, en regardant, avec quarante-huit heures de décalage, les événements ayant entouré la capture puis la mort de Kadhafi, j'ai eu l'impression de voir un mauvais film. Un film stéréotypé où les forces du bien auraient triomphé de celles du mal. Un film où le méchant, à la fin, serait tué d'une balle  vengeresse dans la tête.
Sauf que nous n'étions pas au cinéma. Sauf que je ne regardais pas Pulp Fiction et que Samuel L. Jackson n'abattait pas, citant Ezekiel, le bras vengeur du Tout-Puissant sur les traitres.
Le web 2.0 et sa capacité à produire de l'image à partir de rien, ou de pas grand chose (un téléphone portable et une connexion 3G) nous a livré les derniers instants de Kadhafi.
Et cette livraison s'est faite sans esthétisation du lynchage dont il a été l'objet.
Les images floues, tremblantes, prises de téléphones portables montrent un homme accablé, livré à la violence collective d'autres hommes armés dont il est la proie.
Sur ces vidéos, la vengeance est anonyme où chacun peut frapper un homme désarmé, blessé, vaincu.
Kadhafi qui s'essuie les yeux, aveuglé du sang qui couvre son visage, Kadhafi débraillé, le ventre bedonnant dévoilé par sa chemise ouverte, Kadhafi incapable de se tenir debout, poussé, frappé, insulté...
Ces images précèdent de quelques minutes celles de Kadhafi mort.
Ces images sont celles de la barbarie

Certes, la haine est admissible et la vengeance compréhensible.
Mais la mise à mort d'un homme désarmé ravalera toujours ceux qui l'exercent au rang de celui qu'ils exécutent.
Dans les vidéos qui circulent sur le web (aussi nombreuses qu'elles sont de mauvaise qualité) il n'y avait plus de tyran. Il y avait un homme, seul, soumis à la violence de la foule, c'est-à-dire à la brutalité et à la sauvagerie d'autres hommes.

J'ai été heureux d'apprendre la capture de Kadhafi. J'ai été content qu'un dictateur soit tombé, un de plus. Mais je ne peux me résoudre à accepter son lynchage, car je ne peux me résoudre à accepter la barbarie, quelles qu'en soient les formes.


Premières images de l'arresation
Début du lynchage de Kadhafi

Une bottine exhibée de Kadhafi (encore vivant)

atteste de la chute du tyran
Le corps dénudé de Kadhafi gît
Il est retourné pour la photo
Des humains posent devant le cadavre d'un autre humain
dont le crâne est soulevé par les cheveux pour la photo
Syrte, Libye, 2011
Des humains posent devant les cadavres d'autres humains
Minnesota, USA, 1920
Des humains posent devant d'autres humains,
prisonniers, qu'ils humilient
Abou Ghraïb, Irak, 2004
Sur un plan politique, le Guide de la Révolution est tombé. Avec sa chute, l'OTAN dit en avoir fini avec sa mission en Libye qui, il faut tout de même le rappeler, tirait sa légitimité de la protection des populations civiles. La mort de Kadhafi révèle ce pour quoi nos forces armées se sont engagées: l'élimination d'un chef d'état avec lequel nos propres dirigeants frayaient naguère.

A la manière de la Révolution française, l'acte fondateur d'une éventuelle future démocratie libyenne s'établit dans le sang du dictateur exécuté. Louis XVI, cependant, avait eu droit à un procès...

Caricature de Louis XVI en porc
ou le corps du roi déshumanisé
En complément, quelques articles:
• d'Olivier Beuvelet, Esthétique du tyran mort sur culturevisuelle
• de Fanny Abouaf, La mort de Kadhafi vue par la presse mondiale sur le le nouvel obs
• dans Le Figaro du 16 décembre 2011, Mort de Kadhafi: la CPI soupçonne un crime de guerre.

• à lire l'ouvrage de Jan Philipp Reemtsma, Confiance et violence. Essai sur une configuration particulière de la modernité, et la présentation rapide qui lui est consacrée par Nicolas Weill dans Le Monde des livres du 28/10/2011: "De Shakespeare à Abou Ghraib"




1 commentaire:

Le jour où j’ai stoppé les Popovs dans le Bugey* « Comme il faut mal aimer son peuple pour l’envoyer à des choses pareilles. À présent je...