Nice 14 juillet 2016, c’est la fête.
On est en bord de mer.
C’est le soir du feu d’artifice.
On vient de partout pour le voir.
Les enfants se couchent tard ce soir. Ils sont excités. Fatigués aussi. Les plus petits sont au bras. Têtes levées vers le ciel. Mains sur les oreilles, y fait du bruit le feu d’artifice.
C’est une magie inquiétante ces explosions lumineuses. D’abord il n’y a rien. Le ciel est noir. Peut-être la lune. Puis un sifflement et les étoiles qui se dispersent, des étoiles de toutes les couleurs en bouquets, en cascades, en zigzag…
C’est le soir des enfants. Avant il y a eu la glace ou les frites, la promenade sur la plage la nuit. L’inquiétude aussi de se perdre. Ne me lâche pas la main. Reste ici. Si on se perd on se retrouve devant… on ne se perdra pas.
La lenteur, les sourires, les corps détendus, les amoureux qui se serrent, têtes levées vers le ciel.
Les grands-parents qui rêvent leur enfance avec leurs petits-enfants, leurs enfants, les générations qui se retrouvent. Les bandes de potes qui rigolent.
C’est une belle soirée, c’est les vacances, c’est le 14 juillet, c’est le feu d’artifice.
Voilà ce que c’est: un grand regroupement familial et populaire.
Gratuit, ouvert à tout le monde, ouvert sur le ciel, ouvert sur le monde.
Et le monde est entré soudainement sur la Promenade des anglais. Le monde des porteurs de morts.
En camion. Un grand camion blanc. Du blanc des camions des secours, de cette couleur qui, dans les pays en guerre, indique la neutralité. Le blanc dont on recouvre les cadavres aussi. Ce blanc dont sont les fleurs pour la mort d’un enfant.
Le 13 novembre, les chiens sont entrés dans Paris. Ce 14 juillet, c'est à Nice qu'ils ont débarqué.
Putain de camion. Cette chanson qui revient au matin d’après un carnage.
Un camion qui fonce sur une foule qui s’amuse, sur une foule qui rentre ses enfants aux yeux mi émerveillés mi clos, une foule qui se déplace lentement, heureuse de se trouver là, d’avoir vu le spectacle du ciel illuminé et de ses assourdissantes couleurs, les anciens qui marchent lentement, les petits au bras, les plus grands qui cavalent mais pas trop loin parce que reste ici tu vas te perdre… les ados qu’on retrouve plus tard à la maison mais pas trop tard, les amis qu’on croise par hasard.
Puis l’éclatement de la foule, le bruit qu’on ne comprend pas, le camion qui roule, la foule qui réagit trop tard, les cris, la terreur de la dispersion, des proches perdus, la vue d'enfants, de pères, de mères tués, la terreur des courses affolées la main serrée sur celles des enfants, venez les enfants, dépéchez-vous, le petit collé à la poitrine, pour aller quelque part, pour fuir la mort des autres, pour se mettre à l’abri, pour protéger les siens.
Devant l’hôtel Westminster, le gros camion blanc a été arrêté.
Les étoiles se sont tues.
Les explosions de lumière ont cédé la place aux sirènes et aux gyrophares.
Le blanc des ambulances, celui de l’hôpital, emplit la nuit.
Des morts, nombreux, sur la Promenade des anglais.
Un soir de fête familiale.
Les feux d’artifice seront différents désormais.
Chaque étoile de lumière serrera le coeur du sourire d’un enfant disparu, et le bouquet final fera danser la mémoire ce celles et de ceux qu’a emportés ce putain de camion.
Photo de Une du Monde daté du 16 juillet 2016 |