vendredi 29 avril 2011

Des Noirs, des Arabes et du foot français. Mediapart: scoop ou coup médiatique?

Quasimodo n°3-4
1997
Il suffit d'un rien pour qu'une polémique noie les médias sous des propos aussi approximatifs que chargés d'émotions. L'article de mediapart: "Foot français: les dirigeants veulent moins de noirs et d'arabes" en a déclenché une à laquelle tout le monde se presse de réagir.

Pourtant, le problème est-il nouveau? Ou bien est-ce la manière provocante dont il est posé? Ou encore le fait que le web 2.0 permet de réagir à des choses que l'on n'a pas lues (comme par exemple l'article de Mediapart qui n'est accessible que sur abonnement) et pour lesquelles on se contente de réagir à un titre? Est-ce enfin parce qu'il s'agit de football, sport doublement populaire (comme spectacle et au plan du recrutement de ses pratiquants) et que, dès lors, tout le monde connaît ou croît connaitre ce dont il est question, que chacun et chacune se sent autoriser à "donner un avis" sans savoir ce dont il retourne?

L'article de Mediapart pose bien d'autres problèmes que celui qu'il prétend poser. Il n'est pas question de ne pas prendre en compte ce qui est écrit mais il importe aussi d'interroger comment cela est écrit. Pour cela, un petit retour en arrière s'impose.

En 1997, le numéro 3-4 de la revue Quasimodo s'intitulait "Nationalismes sportifs". Publié un an avant la victoire de l'équipe de France de football à la Coupe du monde de football (la victoire d'une équipe qualifiée de "Blacks-Blancs-Beurs"), il interrogeait déjà la manière dont les imaginaires nationaux étaient fédérés par les grandes rencontres sportives internationales.
Dans ce numéro, Frédéric Baillette, dénonçait comment racisme et  nationalisme sportif investissaient l'image du sport de haut niveau, et notamment comment le leader d'alors du Front national utilisait l'image de l'équipe de France de football pour argumenter sa politique à l'égard des "étrangers".
Pour ma part, j'interrogeais la fonction des imaginaires sportifs dans la construction et la diffusion des nationalismes, et pas seulement, loin de là, le nationalisme des partis nationalistes.
Un peu plus tard (Quasimodo, n°6, "Fictions de l'étranger", 2000), le thème de cette France "Blacks-Blancs-Beurs", championne du monde 1998, était analysé de manière critique dans un article signé Esméralda: "United colors of “France qui gagne”". Il s'agissait de revenir sur l'engouement pour cette formule qui semblait résumer la réussite du modèle de l'intégration "à la Française", engouement spontané et partagé par nombre d'analystes (des journalistes aux politiques en passant par quelques intellectuels de renom). Esméralda montrait notamment comment la "racialisation de la victoire" renforçait l'attention portée aux différences. Certes, l'équipe de France de football avait gagné avec des Noirs et des Arabes. Mais l'image de cette France plurielle n'effaçait pas la Fracture coloniale mise en évidence par Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire.

Surtout, le discours médiatique dominant semblait oublier les injures racistes dans les stades qui, avec les insultes homophobes, constituent la base rhétorique des supporters visant à humilier les joueurs adverses.   Oui, l'équipe de France de 1998 a gagné avec des joueurs ayant acquis la nationalité française via des flux migratoires et l'histoire des Colonies. Cependant le problème de l'acceptation de l'Autre, le problème de "l'étranger" restait entier. Et cet engouement derrière les Bleus a généré des réactions qui, jusqu'à présent on peu été analysées.
D'abord, les tensions observables lors de chacun des matches joués contre des équipes du Maghreb (Algérie, 2001 match arrêté après envahissement du terrain, puis Maroc 2007 et Tunisie 2008 où la Marseillaise était copieusement sifflée) n'ont pas été analysées. Globalement, il s'est agit de condamner ceux qui manquaient de respect au symboles de la nation, la Marseillaise devenant le filtre à partir duquel il était possible d'identifier les "bons français" parmi les joueurs eux-mêmes, selon qu'ils la chantaient ou pas.
Ensuite, le racisme de nombre de supporters ne s'est pas éteint avec la victoire. Il s'est au contraire nourri de ressentiments alimenté de résultats sportifs médiocres. Mais, jusqu'à présent, les autorités du football étaient protegées de toute suspicion de racisme.
Le débat est donc relancé par l'article de mediapart: "Foot français: les dirigeants veulent moins de noirs et d'arabes".


Il va bien falloir le commenter cet article, sur la forme et sur le fond.
Mais en prenant un peu de temps, sans céder à l'emballement.

Le billet qui suit se propose donc de commenter l'article de Mediapart, dans ce qu'il avance comme dans la manière dont il l'avance.
Histoire d'avancer... sur la question des représentations de l'étranger.
Car, finalement, le débat relancé par Mediapart pose une question simple, celle de l'identité nationale que renvoie l'image d'une équipe de football. La question est simple. La réponse l'est bien moins.

mise à jour du 1er mai 2011:
D'autant qu'avec la publication du verbatim à partir duquel a été rédigé l'article et avec les réactions qu'il a suscitées, le débat est loin d'être clos.

Finalement, je ne commenterai pas l'article. L'emballement médiatique suppose du recul.
De la même manière que l'idée de l'équipe de France Blacks-Blancs-Beurs avait saturé les discours, la question des quotas supposés et de la discrimination larvée des joueurs noirs et nords-africains entraîne commentaires et jugements spontanés, là où le temps de l'analyse s'impose.

En revanche, ce qui paraît d'emblée critiquable (et qui a été critiqué ici ou , ou encore ) c'est la manière dont Médiapart a monté le coup médiatique avec un titre aguicheur digne des tabloïds britanniques.

mise à jour du 7 mai:
Sur la polémique déclenchée par Médiapart, l'article de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud, "Race, classe, football: ne pas hurler avec la meutes" paru dans Libération apporte quelques clarifications.

lundi 18 avril 2011

ethique de la soumission: il faut sauver Tony Chapron

Au centre de la cible, Tony Chapron, arbitre international de football, comme l'atteste le badge FIFA qu'il arbore sur la poitrine.

Photo Hugies Lawson Body / L’Equipe extraite de L'Equipe Magazine, n°1401, 23 mai 2009
Pour quelle raison est-il pris à parti, tantôt par les dirigeants de clubs, tantôt par les journalistes et, pourquoi est-il puni, aujourd'hui, par les autorités du football?
Il semblerait que ce ne soient pas les compétences de Tony Chapron qui soient en causes mais sa personnalité.
Ou, plus précisément, sa qualité: Chapron est un humain. Pas une machine.
Quand il arbitre, il exerce un jugement. Quand il n'arbitre pas, il est aussi en mesure d'exercer un jugement.
Il semblerait précisément que c'est cette capacité à juger, donc à interpréter une réalité en tenant compte à la fois de la loi (la règle) et d'une éthique (l'esprit) qui dérange.
Au moment où la machinisation du social et la robotisation de la surveillance dessinent les contours d'un monde aussi performant qu'inhumain, le cas Chapron est un cas d'école, un analyseur du pouvoir sportif, mais, au-delà, l'analyseur d'un modèle de société, basé d'un côté sur l'infaillibilité du contrôle et de la répression et de l'autre sur la conformité intellectuelle et la soumission aux autorités.


Pour le comprendre, revenons aux événements récents:

Tony Chapron a été suspendu de ses fonctions d'arbitre deux journées de suite.
• 5 mars 2011: La première journée, il était dans le même bateau que ses collègues qui avaient décidé – à l'appel du Syndicat des Arbitres de Football d'Elite (SAFE) – d'une action symbolique visant à dénoncer l'absence de respect à leur égard. En prévoyant, , de retarder le début des matches de la 26è journée de ligue 1 d'un quart d'heure, il s'agissait alors pour les arbitres professionnels de rendre public le sentiment de mépris qu'ils ressentaient, en provenance des acteurs (joueurs, entraîneurs, dirigeants) comme des spectateurs du football.
Alors qu'ils sont là pour garantir le bon déroulement du jeu, et que, sans eux, les matches ne pourraient plus se dérouler, ils avaient décidé d'une action symbolique pour attirer l'attention sur le manque de respect dont ils sont l'objet.
Interviewé à la suite de cette sanction collective, Tony Chapron a tenu les propos suivants:

«Il y a au sein du syndicat une unité autour du sentiment d'écoeurement après ce qu'on a subi ce week-end de la part de tout le monde. La Fédération a réagi à une attaque au pistolet à eau par une frappe nucléaire. Chantal Jouanno [la ministre des sports] semble avoir à coeur de trouver une solution et de décanter la situation. Mais ce n'est pas la première fois qu'elle doit intervenir et cela met en lumière l'incompétence de la fédération dans le domaine de l'arbitrage et dans d'autres. Il y a des gens qui ne sont pas à la hauteur

• 12 mars 2011: Pour avoir prononcé ces mots, il a été une nouvelle fois sanctionné, suspendu d'arbitrage pour la rencontre Rennes-Marseille, pour laquelle il avait été désigné. Cette fois-ci, il a été sanctionné seul, pour s'être exprimé au nom du syndicat des arbitres dont il est le secrétaire. Cette décision de la Fédération Française de Football rappelait une première fois que l'éthique du sport est bien celle de la soumission.

• lundi 18 avril 2011, Tony Chapron a été suspendu trois mois avec sursis par le Conseil National d'Ethique de la Fédération Française de Football pour les propos qu'il a tenus.

Cet enchaînement de trois sanctions révèle comment le système du football, faute de pouvoir se réformer ou tout simplement incapable de s'interroger sur ses propres insuffisances, préfère mettre l'un des siens au pilori, et le livrer au lynchage populaire.

Cette décision soulève quelques questions de fonds qui vont bien au-delà de la polémique journalistique et des discussions du bar des sports.

Il en est une, notamment, qui mérite d'être discutée:
Au nom de quelle éthique Tony Chapron a-t-il été condamné?

Mais d'abord, qui est-il?
Tony Chapron est un arbitre international. Mais il est un arbitre atypique, titulaire d'un diplôme d'étude approfondies (DEA), équivalent à ce que l'on appelle désormais un master, c'est-à-dire à la poursuite d'études au niveau bac +5. Il a par ailleurs publié plusieurs articles d'analyse sur les fonctions sociales de l'arbitrage dans des revues ou des ouvrages de niveau universitaire.
Il est par exemple possible de lire de Tony Chapron:
"Le sport, un monde fantasmé face aux réalités", dans l'ouvrage collectif dirigé par Michaël Attali, Le sport et ses valeurs (Paris, La dispute, 2004, p. 67-116)
ou encore,
"L'arbitre et ses fonctions éthiques" publié dans la revue canadienne Ethique publique, vol7, n°2 dans le numéro spécial intitulé "L'éthique du sport en débat" (2005)
Tony Chapron ne fait donc pas que tenir le sifflet. Ses écrits sont reconnus dans le champ universitaire de l'éthique et du sport, comme en atteste la référence qu'y fait denis Müller, de l'Université de Lausanne, dans son article de la revue Etudes, "le football comme miroir".

Quand il s'exprime sur l'arbitrage, ça n'est donc pas seulement du point de vue d'une émotion ou d'un point de vue personnel. Ou plutôt, son point de vue est nourrit à la fois:
• par une pratique d'arbitrage au niveau international
• par une analyse théorique sur l'arbitrage reconnue dans le domaine de la recherche qui intègre une vision historique à un regard sociologique
• par un engagement syndical dans le cadre du syndicat des arbitres

Or, il semblerait que Tony Chapron n'ait pas été condamné pour des propos injurieux, comme parfois le CNE a pu le faire, mais bien pour insoumission.
Or, l'éthique sportive est une éthique de la soumission (ce que j'ai développé par ailleurs). Et la décision du CNE vient d'apporter la preuve qu'on ne s'en affranchit pas impunément.
Tony Chapron porte également, comme passif, sa réflexion sur l'arbitrage lui-même et sur son implication, en tant qu'arbitre, dans cette forme singulière de jugement qu'est l'arbitrage, jugement par lequel il lui faut à la fois défendre une éthique (l'esprit du jeu) et faire respecter l'application de la règle.

Humain doté d'une capacité de jugement, Chapron se différencie du radar automatisé qui enregistre machinalement et froidement une infraction au code de la route. Même dans les polémiques qui lui reprochent de manquer de discernement, il a appliqué un règlement non pas bêtement, mais pour défendre une forme de respect du jeu et une éthique de l'engagement des joueurs.

Humain doué d'un esprit critique, Chapron se permet aussi de ne pas se soumettre pour défendre ce qui lui semble juste. Malgré l'exposition médiatique.

Humain doté de parole, il se permet de répondre aux questions qui lui sont posées lors de cette exposition médiatique.

Contrairement à un radar, il possède donc un point de vue.
Contrairement à une caméra de vidéosurveillance, il est capable de juger les conditions dans lesquelles il est amené à exercer sa mission.

Or, ce qui est remarquable dans la décision du Conseil National d'Ethique, c'est qu'il prononce une sanction contre une action et des propos qui ont été tenus dans le but de défendre l'éthique sportive et les valeurs de respect qu'elle est censée contenir. C'est pour cela que Tony Chapron a mené, avec ses collègues, une action collective visant une prise de conscience. C'est au nom de cette action que le pouvoir fédéral a frappé une première fois. C'est en réaction à cette première sanction que Tony Chapron s'est prononcé. Et c'est en raison de sa réaction qu'il a été puni. Deux fois.

L'éthique sportive de la soumission n'est donc pas seulement celle de la soumission au règlement. Elle est aussi une éthique de la soumission au pouvoir institué, ce pouvoir qui est occupé par des acteurs qui brillent surtout par leurs compétences à le conquérir. Cette éthique de la soumission valorise donc ceux qui se taisent au dépend de ceux qui, constatant un problème, le formulent voire cherchent à le résoudre.

C'est une forme d'éthique d'un autre âge.
C'est la raison pour laquelle il faut  sauver Tony Chapron comme il a fallu sauver les sorcières des bûchers de l'Inquisistion.

pour prolonger la discussion, voir de Jérôme Latta, "La Raclure et les racleurs".


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dimanche 17 avril 2011

Avec Neo le robot humanoïde, Vidéo de la conférence "Corps, humains, machines, le mélange des genres"

Néo – le robot – (Nao robot pour les non francophones) était là pour la conférence Corps, humains, machines, le mélange des genres, le mardi 15 mars 2011, avec Bernard Andrieu, Stéphane Lallé et moi-même.

Une diapo de Stéphane Lallé
sur la Cognition incarnée
Il l'a suivie dans son intégralité à mes côtés. Sage comme un robot bien programmé.

Vous pouvez regarder l'intégralité de la vidéo de sa présentation, ainsi que l'intégralité de la conférence, disponible ici, sur spimotion, la télévision de l'Université Lyon1.

Pour prolonger le débat, un article d'Hubert Guillaud paru dans le Monde, du le 15 avril 2011, un mois après la conférence: "Les robots une technologie sociale?" Hubert Guillaud y développe certains des thèmes que nous avons abordés et illustre son article de plusieurs liens vers des vidéos de robots et de leur usage social.


Bernard Andrieu, Stéphane Lallé, Philippe Liotard...
et Néo







samedi 16 avril 2011

l'iPad comme outil pour les dys? Un partenariat DMF-ERDF

Les premières tablettes iPad financées par les missions handicaps de l'entreprise ERDF ont été réceptionnées par l'association DMF (Dyspraxique mais Fantastique).

Le partenariat entre l'association et l'entreprise s'est constitué en vue d'expérimenter les tablettes numériques comme outil d'adaptation pour les personnes dyspraxiques. Une trentaine de tablettes vont ainsi être prêtées par l'association à des adhérent-e-s qui pourront en explorer les potentialités au plan ergonomique mais aussi au plan des adaptations pédagogiques.

Le choix des bénéficiaires a été fait pour répondre à la question de savoir si de nouvelles perspectives d'adaptation sont envisageables à partir de l'utilisation des ces tablettes. La question de l'âge et de la situation scolaire ou professionnelle ont été des critères déterminants dans la répartition des iPads.

Un cahier des charges a été remis à chaque bénéficiaire afin d'assurer le suivi de l'expérimentation qui devrait déboucher, à terme, sur la création d'applications  (logiciels) spécifiques pour les personnes dyspraxiques.


L'expérimentation de tablettes numériques interactives à des fins pédagogiques est appelée à s'élargir à d'autres types de handicaps.
Pour plus d'informations, vous pouvez consulter le site d'école2demain

Remise d'iPads, dans les locaux de l'association
Handisup Auvergne
en présence de Michaël Le Carour et Véronique Laurent (ERDF)

En complément, un article de Jean-Marc Roosz sur Tablettes tactiles

Ainsi qu'un groupe dédié à la question de l'usage pédagogique des tablettes numériques interactives sur le site Ecole 2 demain:
le groupe tablettes numériques et pédagogie (iPads, archos, samsung, etc.)

Autres articles sur ce blog à propos de la dyspraxie:
Enfants dyspraxiques, l'école comme handicap
Etude sur la dyspraxie à l'école

lundi 11 avril 2011

Gbagbo, le corps de l'ex ou l'effacement du pouvoir

"Le Président" Laurent Gbagbo
Arrestation de Laurent Gbagbo

Il est des images qui marquent. Celles de la déchéance des élites est de celle-là.

Le corps du Roi incarne le pouvoir. Celui du président aussi.
Mais le roi a deux corps nous dit Pierre Michon (Corps du roi, Verdier, 2002) reprenant l'essai d'Ernst Kantorowicz (Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Age, Gallimard, 2000).

Lisons Michon qui semble parler de Laurent Gbagbo, mais qui pourrait tout aussi bien renvoyer à Nicolae Ceaucescu ou Saddam Hussein:
une photo truquée
diffusée sur Internet
dans les premières
heures de l'arrestation de
Gbagbo
"Le roi, on le sait, a deux corps: un corps éternel, dynastique, que le texte ironise et sacre, et qu'on appelle arbitrairement Shakespeare, Joyce, Beckett, ou Bruno, Dante, Vico, Joyce, Beckett, mais qui est le même corps immortel vêtu de défroques provisoires; et il a un autre corps mortel, fonctionnel, relatif, la défroque, qui va à la charogne, qui s'appelle et s'appelle seulement Dante et porte un petit bonnet sur un nez camus, seulement Joyce et alors il a des bagues et il est myope, ahuri, seulement Shakespeare et c'est un bon gros rentier à fraise élisabéthaine"
D'un côté, donc, le corps du pouvoir, en costume, cravates ou en uniforme. De l'autre le corps déchu de l'ex, mal rasé, ahuri d'être arrêté, malmené, voire exécuté.

Le roi a deux corps. Celui qui parade et incarne la force indestructible chez Ceaucescu, Hussein ou Gbagbo.
Et le corps de l'ex, renversé, exposé dans son rabaissement, privé des attributs lui conférant prestance et assurance.
Le corps de Gbagbo, en maillot de corps, hébété, ou empoigné par un soldat (même si la photo est truquée, elle est diffusée), celui d'Hussein, hirsute, plaqué au sol... redeviennent des corps humains. Simples humains, à la merci de la violence des soldats, des milices, des polices qu'ils orientaient naguère. Simples ennemis

Le roi a deux corps, son épouse aussi. Le corps glorieux de Mme Simone Gbagbo, élégante, coiffée et maquillée, droite, aux robes colorées impeccables, qui, aux côtés de son mari, figure la distinction des "grandes dames".
Le corps humain de Simone Gbagbo accompagne la déchéance de son mari lors de son arrestation comme Elena Ceaucescu a accompagné le Conducator dans la mort. Décoiffée, non maquillée, son statut de femme du chef la rend encore plus vulnérable.
L'humiliation qu'elle subit renforce le rabaissement de l'ex-président. L'article de Jean-Philippe Rémy, "Soudain Gbagbo est là" dans Le Monde du 12 avril 2011 rapporte d'ailleurs le traitement dont elle a été l'objet au moment de son arrivée à l'Hôtel du Golf: "Des mains furieuses ont mis ses habits en lambeaux, ont fini d'arracher ses tresses par pleines mèches de cheveux. Un soldat exhibe un morceau de sa chemise..."
Saddam Hussein lors de son arrestation

Le nouveau pouvoir les soumet désormais à son arbitraire. Il met en scène leur chute en exhibant leur corps "mortel, fonctionnel, relatif" qu'invoque Michon, les montrant surpris en maillot de corps, la barbe non taillée, non coiffée...
Cette rhétorique de l'image supprime la dignité de l'homme d'Etat et l'institue en prisonnier de droit commun.

Le roi est nu, barbu, déchu. Le roi n'est plus. Le président non plus.


dernière mise à jour le 12/04/2011 à 14h00 environ...
Saddam Hussein sur son trône
Saddam Hussein lors de son arrestation

dimanche 10 avril 2011

enfants dyspraxiques, l'école comme handicap ?

L'intégralité des conférences qui ont été accueillies dans les locaux du Conseil Général du Rhône, à Lyon, le 8 octobre 2010 dans le cadre de la 4ème journée des dys. Dyslexie, dysphasie, dyspraxie est désormais en ligne sur plusieurs sites (le site rhone.dys, le site d'1-2-3 dys, le site de l'association avenir dysphasie rhône,...).
Les vidéos ont été mises en ligne sur youtube.

J'en profite pour donner ci-dessous le lien vers les deux vidéos qui reprennent la conférence que j'ai donnée. J'y interprète les effets du fonctionnement ordinaire de l'école (qu'il s'agisse du premier ou du second degré) sur les enfants atteints de dyspraxie. L'hypothèse que je développe, c'est que ce fonctionnement ordinaire de l'école produit du handicap (hypothèse que j'avais déjà commencé à formuler dans l'ouvrage collectif L'éternel singulier - Questions autour du handicap)
Je formule également quelques chantiers à ouvrir en son sein si l'on veut que l'école joue son rôle intégrateur et qu'elle participe – au-delà de sa mission d'instruction – à l'épanouissement de chaque élève qui la fréquente.

La première partie de la vidéo.

La seconde partie de la vidéo.

Sur youtube, se trouvent en lien l'ensemble des interventions et les questions posées dans la salle

Un lien vers la vidéo d'une table ronde que j'ai animée, deux jours plus tard (le 10/10/10) dans les locaux de l'ADAPT (Association pour l'Insertion Sociale et Professionnelle des Personnes Handicapées), dans le cadre de la Journée nationale des dys. On y voit notamment les expériences proposées par Amélie Gape pour faire prendre conscience des problèmes rencontrés par les enfants dyspraxiques en milieu ordinaire.

Des liens vers d'autres articles du blog concernant la dyspraxie:
L'iPad comme outil pour les dys?
Une autre vidéo de la 4è journée Dys, à l'ADAPT
Premier entretien pour l'enquête nationale sur le parcours scolaire des enfants dys

jeudi 7 avril 2011

printemps de la jupe les lycéens lyonnais entrent en scène


Cette année, Lyon accueille pour la seconde année le Printemps de la jupe et du Respect. Cet événement créé à Rennes en 2006 par l'association Liberté couleur est en effet relayé par l'association lyonnaise ALS.

En premier lieu, l'événement fait de la jupe un analyseur des relations entre les femmes et les hommes mais aussi des relations entre les filles comme entre les garçons (que disent les filles sur les autres filles, que disent les garçons entre eux sur les filles qui portent des jupes...). Ce qui se joue, à travers la jupe, c'est la question du jugement de valeur porté sur les femmes qui est, le plus souvent, un jugement aussi spontané que sévère.
Nathalie Perrin-Gilbert,
Maire du 1er
inaugure la soirée
aux côtés des responsables
de l'association ALS
Or, ce jugement prétend se constituer sur le principe du respect. Une femme respectable serait une femme dont les tenues effaceraient la portée érotique du corps. Dit autrement, pour qu'une femme soit respectée, il faudrait qu'elle s'applique à ne pas susciter le désir chez autrui... Tâche difficile quand on sait par ailleurs que le devoir de plaire, associée à l'exigence de ne pas "se laisser aller", suppose de porter une attention constante à la mise en scène de soi.

Pourtant, le Printemps de la jupe ne s'en tient pas à discuter de ce vêtement et des jugements qui l'accompagnent. Il ne vise pas plus à inciter à ce que les femmes "qui se sont battues pour porter le pantalon" soient assignées à une injonction à "paraître féminine" se traduisant par le port de la jupe obligatoire.
Pas de prosélytisme, donc. En revanche, questionnement et élaboration d'outils de prévention sont à l'ordre du jour. La question de la jupe sert de prétexte à la discussion sur toutes les questions qui peuvent survenir lorsque l'on interroge des lycéens et des lycéennes sur la manière dont ils perçoivent leurs relations.

C'est ce qui s'est passé hier soir 6 avril à la Mairie du 1er arrondissement de Lyon.

Cette session ouverte au public exposait le travail d'élèves du Lycée La Martinière-Diderot. Le support d'expression qu'ils ont choisi était le théâtre.
En plusieurs pièces, ils ont mis en scène la question de l'évolution historique du droit des Femmes, (jouant des textes de Molière, de Voltaire, de Marivaux) et déclamant la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges (dont voici le début de l'article 1: "La Femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits", 1791).
La condition féminine au XVIIIè siècle était ainsi interrogée par des textes progressistes produits à la même époque.

Ensuite, d'autres scènes ont été jouées, écrites par les élèves celles-ci, qui portaient sur les relations entre les femmes et les hommes dans le monde du travail, dans la famille, dans la sphère publique...

Les thèmes de l'égalité dans l'accès à l'emploi, de la parité et du respect, de la répartition des tâches ménagères dans le foyer, mais aussi la violence dans le couple (tant physique que psychologique) et, bien sûr, le port de la jupe... ont été abordés.










une actrice dans le débat

lundi 4 avril 2011

la femme et le territoire: réflexions autour d'un lynchage

Le lynchage est une pratique consistant à tuer collectivement et sans procès une personne ou, à défaut, à la soumettre à de graves violences. Le lynchage des Noirs aux Etats-Unis, notamment sous l'action du Ku-Klux-Klan est tristement célèbre. Cette pratique pouvait se tourner vers d'autres victimes, comme les homosexuels par exemple ou les criminels... (voir de Joël Michel, Le lynchage aux Etats-Unis, La Table ronde)
Regarder les Etats-Unis et sa culture du lynchage à l'égard de l'Autre, c'est pourtant se mettre à distance de notre propre fonctionnement, le fonctionnement humain et sa potentialité criminelle. En dehors des conflits armés (qui peuvent bien évidemment posséder leur lot de passages à tabac et d'exécutions sommaires), le lynchage constitue en effet une manifestation collective, parfois spontanée, qui possède une caractéristique abominable: la certitude qu'a le groupe qui le commet d'être dans son bon droit. Ainsi en est-il de pratiques en apparence si diverses que le fait de pendre un Noir au Texas, de raser une femme soupçonnée d'avoir couché avec les Allemands durant l'Occupation, d'en violer une autre parce qu'elle est bosniaque et musulmane,  d'en lapider une, soupçonnée d'avoir eu une relation extra-conjugale, de torturer un homosexuel dans un parc de Paris, de massacrer un supporter de l'équipe adverse, d'immoler un voleur ou de passer à tabac une personne appartenant à une bande adverse...

"Le lynchage de Noisy-le-Sec" rappelle que ces pratiques ne sont pas des pratiques d'un autre âge et qu'elles surgissent dès lors que la haine sert de ciment à l'identité d'un groupe. Au moment d'ailleurs où ce jeune homme était passé à tabac, l'arbitre d'un match de football échappait de justesse au lynchage au Caire. Dans tous les cas en effet, le lynchage est un crime de groupe, voire un crime qui signe, pour ses auteurs, l'appartenance au groupe.

Depuis l'agression dont a été victime un jeune homme de Sartrouville pris dans un guet-apen à la gare RER de Noisy-le-Sec, c'et la rivalité "entre bandes" pour des raisons de territoire qui est mise en avant. Rivalité entre cités titre par exemple Libération. Sur RMC, les représentants des syndicats de police considèrent que "tout est bon pour en venir à la violence" et que le territoire fonctionne comme un système d'appropriation de l'ensemble des biens qui s'y trouvent.
La question de l'appartenance au groupe paraît en effet totalement dépendre de cette question de territoire qu'il s'agirait d'ailleurs surtout de protéger des intrusions ou des agressions extérieures ("Entendez-vous dans nos campagnes", etc.)
Ce que révèle l'agression du RER de Noisy-le-Sec, c'est que la circulation des Femmes est en outre inscrite dans la circulation des biens. Si un Noir pouvait être lynché aux Etats-Unis pour avoir touché à une femme blanche, il semblerait que l'agression de Noisy suive la même logique: la victime aurait eu une aventure avec une jeune femme vivant sur le territoire de ses agresseurs. Or, la circulation des Femmes est règlementée (voir par exemple de Robert Jeulin, La Circulation des Femmes et des biens chez les Maras). Les règles de la parenté, les tabous liés à l'inceste, les codes sociaux de la sexualité... tout cela contribue à contrôler cette circulation.
Dans cette histoire, les hommes qui ont pris part au lynchage (dont il semble qu'ils seraient mineurs pour la plupart) ont appris que d'une certaine manière les femmes leur appartenait. Il ne s'agit pas seulement d'une question de territoire, mais aussi d'une question de pouvoir : de celui que les hommes exercent sur la libre circulation des femmes, de la libre disposition de leur corps et de la libre expression de leurs sentiments.
La question que je me pose aujourd'hui est celle de savoir comment ces choses-là s'apprennent-elles encore, en 2011. De quelles angoisses identitaires sont-elles porteuses pour en arriver à une telle expression de la haine.
Comment en 2011, a 14-15 ans est-il encore possible de constituer son identité sur la nécessité du contrôle et du territoire et des Femmes qui y vivent?
Au-delà, comment participer à une construction identitaire qui s'affranchisse de ces rassurantes appartenances et de ces faciles dominations?

complément du 5 avril 2011:
D'une certaine manière, je suis tombé dans le panneau que dénoncent Marwan Mohammed et Laurent Mucchielli dans "le fait divers et l'incendie médiatique", en réagissant rapidement sur le peu d'informations disponibles dans la presse.
Je partage pourtant leur demande de prudence en ce qui concerne les commentaires à apporter sur un fait précis.
Néanmoins, je maintiens mes questions sur ce qui fait que la violence (notamment collective) participe à la construction identitaire de certains jeunes garçons,
sur le fait également que l'appartenance à un territoire semble devenir un signe d'identité qui, certes, ne se lit pas sur les visages mais nourrit les émotions
sur le pouvoir, enfin, que certains groupes d'hommes exercent sur les femmes de leur entourage proche dont ils contrôlent la circulation autant qu'ils les excluent de l'espace public qu'ils s'approprient (voir l'enquête du CNRS: Loisirs des jeunes, l'hégémonie des garçons).

Le jour où j’ai stoppé les Popovs dans le Bugey* « Comme il faut mal aimer son peuple pour l’envoyer à des choses pareilles. À présent je...