Quasimodo n°3-4 1997 |
Pourtant, le problème est-il nouveau? Ou bien est-ce la manière provocante dont il est posé? Ou encore le fait que le web 2.0 permet de réagir à des choses que l'on n'a pas lues (comme par exemple l'article de Mediapart qui n'est accessible que sur abonnement) et pour lesquelles on se contente de réagir à un titre? Est-ce enfin parce qu'il s'agit de football, sport doublement populaire (comme spectacle et au plan du recrutement de ses pratiquants) et que, dès lors, tout le monde connaît ou croît connaitre ce dont il est question, que chacun et chacune se sent autoriser à "donner un avis" sans savoir ce dont il retourne?
L'article de Mediapart pose bien d'autres problèmes que celui qu'il prétend poser. Il n'est pas question de ne pas prendre en compte ce qui est écrit mais il importe aussi d'interroger comment cela est écrit. Pour cela, un petit retour en arrière s'impose.
En 1997, le numéro 3-4 de la revue Quasimodo s'intitulait "Nationalismes sportifs". Publié un an avant la victoire de l'équipe de France de football à la Coupe du monde de football (la victoire d'une équipe qualifiée de "Blacks-Blancs-Beurs"), il interrogeait déjà la manière dont les imaginaires nationaux étaient fédérés par les grandes rencontres sportives internationales.
Dans ce numéro, Frédéric Baillette, dénonçait comment racisme et nationalisme sportif investissaient l'image du sport de haut niveau, et notamment comment le leader d'alors du Front national utilisait l'image de l'équipe de France de football pour argumenter sa politique à l'égard des "étrangers".
Pour ma part, j'interrogeais la fonction des imaginaires sportifs dans la construction et la diffusion des nationalismes, et pas seulement, loin de là, le nationalisme des partis nationalistes.
Un peu plus tard (Quasimodo, n°6, "Fictions de l'étranger", 2000), le thème de cette France "Blacks-Blancs-Beurs", championne du monde 1998, était analysé de manière critique dans un article signé Esméralda: "United colors of “France qui gagne”". Il s'agissait de revenir sur l'engouement pour cette formule qui semblait résumer la réussite du modèle de l'intégration "à la Française", engouement spontané et partagé par nombre d'analystes (des journalistes aux politiques en passant par quelques intellectuels de renom). Esméralda montrait notamment comment la "racialisation de la victoire" renforçait l'attention portée aux différences. Certes, l'équipe de France de football avait gagné avec des Noirs et des Arabes. Mais l'image de cette France plurielle n'effaçait pas la Fracture coloniale mise en évidence par Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire.
Surtout, le discours médiatique dominant semblait oublier les injures racistes dans les stades qui, avec les insultes homophobes, constituent la base rhétorique des supporters visant à humilier les joueurs adverses. Oui, l'équipe de France de 1998 a gagné avec des joueurs ayant acquis la nationalité française via des flux migratoires et l'histoire des Colonies. Cependant le problème de l'acceptation de l'Autre, le problème de "l'étranger" restait entier. Et cet engouement derrière les Bleus a généré des réactions qui, jusqu'à présent on peu été analysées.
D'abord, les tensions observables lors de chacun des matches joués contre des équipes du Maghreb (Algérie, 2001 match arrêté après envahissement du terrain, puis Maroc 2007 et Tunisie 2008 où la Marseillaise était copieusement sifflée) n'ont pas été analysées. Globalement, il s'est agit de condamner ceux qui manquaient de respect au symboles de la nation, la Marseillaise devenant le filtre à partir duquel il était possible d'identifier les "bons français" parmi les joueurs eux-mêmes, selon qu'ils la chantaient ou pas.
Ensuite, le racisme de nombre de supporters ne s'est pas éteint avec la victoire. Il s'est au contraire nourri de ressentiments alimenté de résultats sportifs médiocres. Mais, jusqu'à présent, les autorités du football étaient protegées de toute suspicion de racisme.
Le débat est donc relancé par l'article de mediapart: "Foot français: les dirigeants veulent moins de noirs et d'arabes".
Il va bien falloir le commenter cet article, sur la forme et sur le fond.
Mais en prenant un peu de temps, sans céder à l'emballement.
Le billet qui suit se propose donc de commenter l'article de Mediapart, dans ce qu'il avance comme dans la manière dont il l'avance.
Histoire d'avancer... sur la question des représentations de l'étranger.
Car, finalement, le débat relancé par Mediapart pose une question simple, celle de l'identité nationale que renvoie l'image d'une équipe de football. La question est simple. La réponse l'est bien moins.
mise à jour du 1er mai 2011:
D'autant qu'avec la publication du verbatim à partir duquel a été rédigé l'article et avec les réactions qu'il a suscitées, le débat est loin d'être clos.
Finalement, je ne commenterai pas l'article. L'emballement médiatique suppose du recul.
De la même manière que l'idée de l'équipe de France Blacks-Blancs-Beurs avait saturé les discours, la question des quotas supposés et de la discrimination larvée des joueurs noirs et nords-africains entraîne commentaires et jugements spontanés, là où le temps de l'analyse s'impose.
En revanche, ce qui paraît d'emblée critiquable (et qui a été critiqué ici ou là, ou encore là) c'est la manière dont Médiapart a monté le coup médiatique avec un titre aguicheur digne des tabloïds britanniques.
mise à jour du 7 mai:
Sur la polémique déclenchée par Médiapart, l'article de Gérard Noiriel et Stéphane Beaud, "Race, classe, football: ne pas hurler avec la meutes" paru dans Libération apporte quelques clarifications.