mercredi 3 juin 2020

à genoux sur un corps que tu étouffes. A George Floyd

« En me mettant а genoux 
J’ai pleuré » (Daniel Darc, La main au coeur)

Derek, tu l’as senti dans ton genou, hein, le moment où George Floyd a perdu connaissance après t’avoir supplié, hein? Tu l’as senti… Il s’est passé quelque chose. Tu appuyais fort. Tu savais que tu faisais mal. Tu étais fort. Tu te sentais fort. Ton regard en atteste. Tu étais fier. De ton uniforme, de ta force, et fier de faire plier, d’avoir fait plier un homme, plus grand que toi, plus fort, de le maintenir à ta merci, au sens véritable du terme. Tu as mis littéralement avec tes collègues, on est plus fort quand on est plusieurs, George Floyd à ta merci.
Il t’a supplié longtemps, jusqu’à ce que son corps cède. Il te disait qu’il ne pouvait plus respirer « I can’t breathe, I can’t breathe, I can’t breathe… » combien de fois tu l’as entendu parce que tu l’as entendu, tu lui as répondu, et quand il disait « I can’t breathe… » tu n’appuyais pas un peu plus fort? tu ne transférais pas encore un peu plus le poids de ton corps dans ce genou qui l’écrasait, juste pour lui montrer qu’il était à ta merci, et juste aussi pour le petit plaisir qui est le tien de faire mal, parce que tu le savais qu’il ne simulait pas, qu’il avait vraiment mal, la gueule sur le bitume, les mains dans le dos, tu le sentais, et c’était bon, comme c’était bon aussi de voir l’agitation autour, les gens qui suppliaient et ton genou posé là, qui ralentissait le sang qui coupait la respiration et depuis lequel tu te sentais fort, c’était bon de le sentir à ta merci et de ne pas lui avoir accordé, même si tu as ressenti une légère inquiétude quand sous ton genou le corps s’est aplati, tu sais, au moment où la tonicité du vivant a été comme absorbée par la chaussée, quand tu sentais qu’il n’y avait plus de résistance de la chair irriguée sous ton genou et que pour un peu tu avais l‘impression de traverser le cou, d’avoir le genou directement posé à terre, tu as eu un petit moment d’inquiétude, à peine, puis tu en as été grisé, tu es devenu aiguille dans l’abdomen du papillon et une aiguille ne pense pas, elle fixe, et quand tu l’as senti s’évanouir la tonicité, s’en aller avec l’énergie vitale de George Floyd, après le petit moment d’inquiétude, tu t’es appliqué à maintenir la position, un genou à terre dans le cou de George Floyd mort, le buste droit, ta force 
En France, aussi, la police sait faire plier, mettre à genoux, soumettre, elle sait imposer sa puissance en imposant une posture: à genoux, mains sur la tête, face au mur, on regarde droit devant, on baisse les yeux, on se tait. On a vu ça naguère, avec des mômes. Ils ont été humiliés, moqués… 
George Floyd, tu l’as mis plus bas que terre, tu ne l’as pas laissé se mettre à genoux, te supplier dans les formes et en te suppliant lui permettre de reconnaître ta puissance, tu l’as enfoncé dans le sol, cloué au bitume avec un genou, un seul, le tien dans lequel tu concentrais toute ta force. Quiconque a fait du judo ou de la lutte sait combien on peut mettre de la force dans un appui que l’on plaque au sol, au-delà de sa propre masse, dès lors qu’on y concentre l’énergie vitale, tu le sais, ça, tu es entraîné, tu es un vrai flic.
Sur le corps de George Floyd que tu clouais sur le bitume sale de Minneapolis, tu pensais à tous ces Négros de footballeurs américains qui ont suivi Kaepernick, en mettant un genou à terre au lieu de mettre la main au coeur, debout, regard porté loin, avant les matches en écoutant Stars and Stripes. Tu l’avais bien en tête cette image… tous ces Noirs qui régalent les foules qui occupent le terrain, qui sont au centre du terrain, et qui se sont rebellés, bien symboliquement, en mettant un genou à terre, pour protester contre quoi déjà? Colin Kaepernick, le quarterback des 49ers de San Francisco, tu t’en souviens, hein Derek, de lui et des ses frères qui s’agenouillaient pendant l’hymne nationale c’était pour protester contre les violences policières sur leurs frères noirs, bordel, on leur demande pas leur avis, ils sont payés pour passer courir marquer et bloquer l’adversaire dans un sport d’hommes, de balèzes, un sport où George Floyd aurait pu jouer, mais toi, tu l’as en tête cette image de Kaepernick, à genou, tête baissée, lorsque tu appuies ton genou sur le cou de George Floyd, contrairement à Kaepernick tu ne baisses pas la tête, tu as le regard fier, par moment, tu te baisses pour regarder George Floyd, pour lui parler, tu sens bien qu’il ne peut rien faire, aussi vulnérable que le papillon dans l’abdomen duquel on a piqué une aiguille pour le fixer au liège et l’afficher au mur
Bientôt, toi aussi tu seras sur tous les murs de tous les réseaux sociaux de la terre, sur toutes les télés, tu deviendras un symbole de l’inhumain par la force de ton genou appuyé dans le cou de George Floyd, tu ne le sais pas encore, mais ta photo fera le tour du monde, longtemps après que tu te seras relevé, parce que tu as donné un nouveau sens à l’agenouillement, l’homme fort ne s’agenouille que pour prier, toi, tu en as fait un outil de barbarie, tu as posé pour la postérité en posant ton genou dans le cou de George Floyd que tu as tué de la plus lâche et la plus horrible des manières en maintenant le garrot de ton propre corps concentré dans ton genou sur le cou de Georges Floyd, tu as tué comme on supplie, à genoux, tu as renversé la signification de la posture, en s’agenouillant, l’humain prie son bourreau ou s’élève vers le ciel, en t’agenouillant, tu t’es abaissé jusqu’au vil Derek.


Le jour où j’ai stoppé les Popovs dans le Bugey* « Comme il faut mal aimer son peuple pour l’envoyer à des choses pareilles. À présent je...