mercredi 9 juillet 2014

Le spectacle des larmes brésiliennes

Le Brésil pleure, c'est Google qui le dit...

Décidément, les larmes dans le football sont de saison. Après celles de "coach Vahid" et l'élimination de l'Algérie par l'Allemagne, celles des Brésiliennes et des Brésiliens, éliminés à leur tour par l'Allemagne.

Le match Brésil-Allemagne fut un beau spectacle, en raison de son déroulement, de son résultat (7 à 1 pour l'Allemagne)  et de son contexte... Le déroulement (avec un premier but très rapide, puis une succession de quatre buts en six minutes portent le score à 5 à 0 pour l'Allemagne à la mi-temps) construit un scénario grâce auquel le spectacle va pouvoir gagner en intensité. Le match est plié du point de vue sportif. Mais au plan émotionnel, il prend toute son épaisseur. Les commentateurs se centrent sur le regard perdu des joueurs brésiliens après chaque but. Les caméras captent dans le stade les images des pleurs d'enfants, de femmes, d'hommes...
Le spectacle n'est plus un spectacle sportif mais un spectacle de l'émotion brute qui dépasse l'émotion habituelle des rires (chez les vainqueurs) et des pleurs (chez les perdants) dont j'avais parlé il y a quelques années à propos du match... France-Brésil de 1998 (Les uns contre les autres, Le Courrier de l'UNESCO, avril 1999).

Le contexte y est pour quelque chose également. Les commentaires d'avant-match – chargés dans la presse de construire l'importance de l'événement – n'ont cessé de mettre en avant la communion d'un peuple avec son équipe, la solidarité sans faille de ce peuple avec les quelques mercenaires (salariés en Europe pour la majorité d'entre eux) qui le représentent. Ils n'ont cessé de souligner la fête nationale que représenterait une qualification du Brésil pour une finale, sur ses propres terres. Baptisé le pays du football (ce qui n'a aucun sens mais une portée symbolique indéniable), le Brésil donnerait à voir une union sans faille derrière son équipe...

... à condition que cette équipe gagne, ce que les commentateurs ont oublié un peu tôt, pour se rappeler le matin suivant qu'une grande partie de la population s'est opposée à l'organisation de la Coupe du Monde, pour se rappeler que le désir d'écoles, d'universités, d'hôpitaux, de transports... d'emplois était bien supérieur à celui qui consiste à ajouter une étoile sur le maillot national.

Peu importe. Le spectacle des larmes est là. Celui de la stupeur, de l'incrédulité aussi. Les visages atterrés, aux yeux mouillés, les regards hagards... tissent la toile du spectacle durant le match, dans les minutes qui suivent le match... et dans les compte-rendu d'après-match, au point même de fournir aux organes de presse des articles basés sur le simple recueil de ces images là. Ainsi le site du Nouvel obs propose un diaporama des "larmes de l'humiliation"; TF1 en ligne, après une pub imposée d'une minute, permet d'accéder à un florilège  des "larmes des Brésiliens sur le web", tout comme le Figaro qui titre "Le Brésil baigne dans les larmes"... et même Le Monde qui revient en images sur "la soirée cauchemar du Brésil face à l'Allemagne"avec un diaporama qui commence par les larmes du défenseur David Luiz.

Bref, les larmes font vendre.
Elles sont au centre du processus médiatique.

Au lendemain du match, l'intensité émotionnelle peut d'ailleurs se quantifier. A partir des titres de la presse, on vient de le voir, à partir des 35 millions de tweets échangés dans le monde à propos du match, à partir des commentaires sur Facebook. A partir également de ce que Google met en avant lorsqu'on tape simplement "Brésil" dans le moteur de recherche (photo ci-dessus)

Ce matin, au lendemain de ce match, les chaines d'information, les radios accordent un large part à l'événement. Le Brésil pleure. Mais que pleurent ces femmes, ces enfants, ces hommes? Sur qui ou sur quoi pleurent-ils?

Au moment de boucler ce papier, je ne peux m'empêcher de penser à d'autres visages terrorisés, pleins de larmes, montrés ce matin même sur ces mêmes chaînes d'information qui reviennent en boucle sur les larmes brésiliennes: celui de femmes et d'hommes ayant subi les bombardements israéliens en représailles des roquettes tirées par le Hamas. Mais ceci est une autre histoire.

Photo extraite de 20 minutes du 9 juillet 2014

Gaza jour 21: Dix Palestiniens tués dans le bombardement d'une maison...



mardi 1 juillet 2014

Les vrais hommes le foot et les larmes

Vahid pleure mais c'est un vrai homme
"Pleure pas, t'es pas une fille".
Tout le monde connait l'expression.
Le devenir homme passe par l'apprentissage de la maîtrise de ses émotions, notamment publiquement.
Le football renverse la donne.
Les footballeurs sont des hommes qui pleurent... et qui pleurent d'émotion, tout comme se sont des hommes douillets qui se jettent (voire se roulent) au sol en grimaçant quand on leur caresse la jambe, ce qui, soit dit en pensant, ne viendrait à l'idée d'aucune "vraie fille".

Un tweet a attiré mon attention ce matin. Il porte le hashtag #VahidOnTaime. Vahid est le prénom de l'entraîneur Halilhodzic de l'équipe de football d'Algérie dont les joueurs sont surnommés les Fennecs, en référence au renard du désert.
Ce qui m'a marqué, ce ne sont pas les pleurs de Vahid, mais le commentaire qui l'accompagne "C'est un vrai homme".

#VahidOnTaime, C'est un vrai homme

En voilà un commentaire.
Un qui va à l'encontre de toutes les idées reçues:
Les vrais hommes peuvent pleurer.
Certes, ce tweet est isolé, du moins dans sa formulation. Cependant, si l'on suit la balise #VahidOnTaime sur twitter, on ne peut que constater que les larmes de "Coach Vahid" sont largement commentées, dans le sens d'une valorisation de son engagement pour l'équipe et, au-delà, pour l'Algérie, tout comme le sont les larmes des joueurs de l'équipe (voir ci-dessous la série de captures d'écran).
Ces larmes, ces pleurs, attestent de l'émotion vécue par une élimination en raison de l'attachement à l'Algérie.
Ces pleurs, ces larmes de défaites sont analysés comme la marque de l'engagement pour la nation algérienne.
Ce sont des larmes de tristesse, mais des marques nationalistes, au sens où il existe un nationalisme sportif ("Nationalismes sportifs", Quasimodo, n° 3-4, 1997 où l'on peut lire notamment un article de Youssef Fatès, "Les marqueurs du nationalisme: les clubs sportifs musulmans dans l'Algérie coloniale").
Il y a huit ans, en 2006, un autre footballeur avait été considéré comme un vrai homme. Du moins cet argument faisait partie des commentaires visant à justifier son comportement. Ce footballeur jouait pour l'équipe de France une finale de coupe du monde. A l'époque, il frappa un adversaire d'un coup de tête avant d'être expulsé. Le vrai homme, c'était lui... " que voulez-vous, c'est un homme"...

Finalement, un vrai homme n'a pas vocation à être violent.
Un vrai homme est aussi celui qui pleure, quand il a tout fait... et qu'il a tout perdu.

Ci-dessous quelques illustrations:
D'abord la page d'accueil de Google quand on tape aujourd'hui 1er juillet 2014 Vahid Halilhodzic. La première actualité qui s'affiche est "Les larmes de Vahid Halilodzic". Sans doute ces larmes sont-elles aussi remarquées que "Coach Vahid" (comme il était appelé lorsqu'il entraînait le Paris-Saint-Germain ou Lille) est réputé être quelqu'un de dur, de sévère, d'intraitable dans son métier d'entraîneur. D'ailleurs, l'article du Parisien qui rapporte la vidéo des larmes de Vahid commence ainsi: "Coach Vahid a fendu l'armure"
Ce sont ses larmes qui font la une. Celles d'un homme dont on aurait pu oublier qu'il en était un tant il était rigoureux et tourné vers la réussite de son équipe.
les larmes de Vahid Halilhodzic

Ci-après, une série de captures d'écran sur twitter avec la balise #VahidOnTaime









Le jour où j’ai stoppé les Popovs dans le Bugey* « Comme il faut mal aimer son peuple pour l’envoyer à des choses pareilles. À présent je...