Le Brésil pleure, c'est Google qui le dit... |
Le match Brésil-Allemagne fut un beau spectacle, en raison de son déroulement, de son résultat (7 à 1 pour l'Allemagne) et de son contexte... Le déroulement (avec un premier but très rapide, puis une succession de quatre buts en six minutes portent le score à 5 à 0 pour l'Allemagne à la mi-temps) construit un scénario grâce auquel le spectacle va pouvoir gagner en intensité. Le match est plié du point de vue sportif. Mais au plan émotionnel, il prend toute son épaisseur. Les commentateurs se centrent sur le regard perdu des joueurs brésiliens après chaque but. Les caméras captent dans le stade les images des pleurs d'enfants, de femmes, d'hommes...
Le spectacle n'est plus un spectacle sportif mais un spectacle de l'émotion brute qui dépasse l'émotion habituelle des rires (chez les vainqueurs) et des pleurs (chez les perdants) dont j'avais parlé il y a quelques années à propos du match... France-Brésil de 1998 (Les uns contre les autres, Le Courrier de l'UNESCO, avril 1999).
Le contexte y est pour quelque chose également. Les commentaires d'avant-match – chargés dans la presse de construire l'importance de l'événement – n'ont cessé de mettre en avant la communion d'un peuple avec son équipe, la solidarité sans faille de ce peuple avec les quelques mercenaires (salariés en Europe pour la majorité d'entre eux) qui le représentent. Ils n'ont cessé de souligner la fête nationale que représenterait une qualification du Brésil pour une finale, sur ses propres terres. Baptisé le pays du football (ce qui n'a aucun sens mais une portée symbolique indéniable), le Brésil donnerait à voir une union sans faille derrière son équipe...
... à condition que cette équipe gagne, ce que les commentateurs ont oublié un peu tôt, pour se rappeler le matin suivant qu'une grande partie de la population s'est opposée à l'organisation de la Coupe du Monde, pour se rappeler que le désir d'écoles, d'universités, d'hôpitaux, de transports... d'emplois était bien supérieur à celui qui consiste à ajouter une étoile sur le maillot national.
Peu importe. Le spectacle des larmes est là. Celui de la stupeur, de l'incrédulité aussi. Les visages atterrés, aux yeux mouillés, les regards hagards... tissent la toile du spectacle durant le match, dans les minutes qui suivent le match... et dans les compte-rendu d'après-match, au point même de fournir aux organes de presse des articles basés sur le simple recueil de ces images là. Ainsi le site du Nouvel obs propose un diaporama des "larmes de l'humiliation"; TF1 en ligne, après une pub imposée d'une minute, permet d'accéder à un florilège des "larmes des Brésiliens sur le web", tout comme le Figaro qui titre "Le Brésil baigne dans les larmes"... et même Le Monde qui revient en images sur "la soirée cauchemar du Brésil face à l'Allemagne"avec un diaporama qui commence par les larmes du défenseur David Luiz.
Bref, les larmes font vendre.
Elles sont au centre du processus médiatique.
Au lendemain du match, l'intensité émotionnelle peut d'ailleurs se quantifier. A partir des titres de la presse, on vient de le voir, à partir des 35 millions de tweets échangés dans le monde à propos du match, à partir des commentaires sur Facebook. A partir également de ce que Google met en avant lorsqu'on tape simplement "Brésil" dans le moteur de recherche (photo ci-dessus)
Ce matin, au lendemain de ce match, les chaines d'information, les radios accordent un large part à l'événement. Le Brésil pleure. Mais que pleurent ces femmes, ces enfants, ces hommes? Sur qui ou sur quoi pleurent-ils?
Au moment de boucler ce papier, je ne peux m'empêcher de penser à d'autres visages terrorisés, pleins de larmes, montrés ce matin même sur ces mêmes chaînes d'information qui reviennent en boucle sur les larmes brésiliennes: celui de femmes et d'hommes ayant subi les bombardements israéliens en représailles des roquettes tirées par le Hamas. Mais ceci est une autre histoire.
Photo extraite de 20 minutes du 9 juillet 2014Gaza jour 21: Dix Palestiniens tués dans le bombardement d'une maison... |