vendredi 3 août 2018

Zombie Boy, le beau sale gosse

Rick Genest, plus connu sous le nom de Zombie boy a été découvert mort par la police de Montréal mercredi 1er août 2018, jour de la mort de Fakir Musafar.
Sa tête vous dit quelque chose sans doute. Une tête de mort, de zombie, un déguisement à tomber par terre dans les soirées branchées. Tatoué, des pieds à la tête, crâne et visage compris. Zombie a été une apparition dans le monde du tatouage. Découvert mort à 32 ans, il y a pourtant plusieurs années qu'il est ainsi recouvert.
On connait un peu son histoire, il a été beaucoup interviewé. Les photos de lui inondent le web. Mannequin pour Mugler, on le retrouve dans la presse féminine dans une image de sale gosse stylisé. Il prenait la lumière. Savait poser son regard, faire la mimique qu'il fallait.


On le voit aussi dans le clip de Lady Gaga "Born this way" (un clip à plus de 230 millions de vues) où il incarne la créature qui nait dans un déchirement et en laquelle... se maquille Lady Gaga




Mais Rick Genest était un mec de la rue. Un punk à paillettes dont le look a été utilisé et mis en scène. Il gardait cette tension entre les projecteurs qui font de vous une icône et le bad boy tatoué revenu de loin.
En devenant Zombie Boy, Rick Genest a contribué à populariser le tatouage du visage. Il était une exception dans la valorisation sociale de soi. En allant au bout d'une démarche radicale, en inscrivant à l'encre l'intérieur de son corps à la surface de sa peau, il a échappé au suicide social de la marginalisation pour devenir un personnage public, pour exister comme image, comme belle image de beau sale gosse.

Mais si on peut se distinguer de son personnage public, il est difficile d'échapper à soi. Et les images souffrent aussi.
Il portait tatoué sur le ventre RIP. C'est tout ce qu'on peut lui souhaiter aujourd'hui
Requiescat in Pace,
Repose en paix,
Rest in Peace

Rick Genest
Fuck You Style

jeudi 2 août 2018

L'ultime modification du corps de Fakir Musafar: la mort

Fakir Musafar est mort.
Sa femme, Cléo Dubois qui l'a veillé jusqu'au bout, a annoncé sur Facebook qu’il s’était éteint, chez lui, un peu avant midi le 1er août 2018.

Fakir Musafar, le Dandy au corps modifié est mort.


Sa mort ne fera pas la une des journaux et ses obsèques ne seront pas retransmises en direct. La presse people ne l’a pas traqué jusqu’à ses derniers instants. Pourtant, l’annonce faite par Fakir lui-même de sa mort à venir avait déclenché une vague de tristesse, d’hommage et de respect. Le 4 mai, 2018 il annonça en effet qu’il souffrait d’un cancer. Lors de cette annonce, il a demandé à ce qu’on lui adresse un courrier postal. Avec humour et détachement, il annonçait que le temps était venu pour lui d’annoncer que sa durée de conservation était épuisée et que sa date de péremption était imminente. Souffrant d’un cancer des poumons, il s’apprêtait à passer dans un autre monde et à profiter de ses derniers instants.

"Dear Followers, Fans, Students and Loving Friends,
The time has come for me to inform you that Fakir's shelf life is running out. I have been fighting stage 4 lung cancer since last October, and I am near my expiration date.
I am grateful and honored beyond words to have known you—all of you who have been touched by my presence and followed my example—and the dizzying, fun, enlightening, and delightful experience of seeing so many embrace body piercing and body rituals. I never expected our passions and practices to grow to a global phenomenon—that my early visions of Modern Primitives would expand beyond my wildest dreams. Thank you for embracing, growing, and embodying our art, craft, and energetic ritual practices. They have changed the cultural landscape worldwide. May they serve you well in the future.
Though I will soon pass into the unseen world, I take pride in knowing that my legacy will continue with the Fakir Body Piercing & Branding Intensives, hopefully for many years to come. The institution we have built does not cater to the ambitions of a small group of exclusives, but strives to provide broad educational support to everyone drawn by its charms, skills, and magic. Deep, serious learning. This twenty-eight-year journey has not only been mine, but that of a dedicated staff of teachers. We helped one another. We shared with each other. We improved year-after-year. Our devotion is to pass on everything we have discovered to those who want to learn. My heartfelt thanks to Ken Coyote, Jef Saunders, Cody Vaughn, Ian Bishop, Tod Almighty, Jori Zan, BettyAnn Peed, Becky Dill, Laura Jane, Neo Collett, WJ Grindatti, past instructors who moved on, including Dustin Allor, Dr. Natalie Lowry, Fashia Fontaine Zanatta, Sharon Nickle, Seth Cameron, Idexa Stern, and everyone who has supported the workshops and my passions over the years: Carry on!
Now, I have a request: I realize that many of you may wish to reach out to me, but I will be unable to manage a deluge of emails and phone calls in my final days, which I wish to spend in quiet solitude with my loving wife Carla (aka Cleo Dubois.) However, I would very much appreciate a handwritten note from you by postal mail. My address is:
Fakir Musafar
P.O. Box 2345
Menlo Park, CA 94026 »
For future students, scholars, and press, I am pleased to announce that the Bancroft Library, at UC Berkeley, has acquired my archives, and will make them available for posterity. These archives include my writings, books, interviews, photography, and videos. I have also donated part of my collection to the Body Piercing Archive at the Association of Professional Piercers.
Goodbye dear friends, and may you all have as wonderful a journey as I have had.
Namasté!
Fakir Musafar
May 2018, Menlo Park, California»

Après cette annonce, c’est Cleo Dubois qui a donné quelques nouvelles jusqu’à l’annonce de son départ. Elle a mentionné combien Fakir a été surpris des courriers reçus suite à son message. Le 16 mai, elle écrivait:
« Went to the post office to get mail out of our P.O.Box. Here is what I came home with . All that love in letters, cards, art , even a thumb nail with a new documentary , a book, somme fabric flowers, photos of memories and cats , of course. ... all love and thanks for Fakir Musafar 's lifetime work. And Paul King came to visit. 
Fakir was astonished and very touched. The mail will take a few days for him to open and savor. Here is a preview. Thank you all who send positive energy and good wishes as we move towards the work and mystery of his end of life at home. And again really we do not know how much time he has. I will post periodically on FB.Have fun, have magic. Life is short. Namaste »



Tout ce courrier n’est pas surprenant. Fakir Musafar a non seulement eu une influence majeure sur les modifications contemporaines de l’apparence, mais il était aimé. Il n’était pas seulement un pionnier, un explorateur de ce que peut le corps, dont il a parcouru de multiples possibles sur le sien propre, expérimentant dans sa propre chair les rituels que les sociétés ont produit tout au long des siècles sur leurs individus en matière de contention, de percement, de suspension... Il n’a pas seulement transmis les techniques du piercing et de tous ces rituels que les Occidentaux ne connaissaient qu'à travers National Geographic et, aujourd'hui, Internet. Il a diffusé un certain rapport à autrui, fait d’accueil et de respect des différences, de curiosité pour les coutumes, les manières de faire incompréhensibles pour beaucoup. Il a permis à des milliers de personnes d’explorer leur propre soi, à partir du corps, non pas dans une perspective de mortification, de renoncement mais au contraire d’ouverture, de transformation heureuse et acceptée, y compris si la douleur était une partie du processus.

Depuis le 4 mai, son compte Facebook est abreuvé d’hommages, de remerciements, de partage de souvenirs. Cela va s’amplifier dans les heures, les jours qui viennent pour en faire un mausolée virtuel. La mort de Shannon Larratt avait déjà produit un vaste mouvement à l’échelle planétaire. Celle de Fakir prépare un tsunami dans l’underground.

Et il va maintenant falloir faire son histoire.
Parce qu’il fut un fil rouge historique des modifications corporelles occidentales. Proche de Jim Ward il a popularisé le piercing et toutes les manières de mettre son corps à l'épreuve.
Il a aussi fait connaître avant de contribuer à diffuser la pratique des suspensions, notamment à partir de « Modern Primitives », le fabuleux numéro de Re/Search, ce numéro qui a tant contribué à ce que le piercing sortent de la niche californienne pour devenir un phénomène planétaire d’ornementation des populations occidentales. Sur les suspensions, j'en avais dit deux-trois mots ici. Et l'impact de cette première image, où on le voit suspendu, il faut l'imaginer en 1989, avant Internet. Il faut s'imaginer entrer à un Regard moderne, rue git-le-coeur, et voir Jacques Noël tendre le bouquin à la couverture rose en disant "ça devrait vous intéresser". Il l'a fait à tant de personnes... Certaines d'entre elles en sont devenues perceuses, et c'est ce qu'elles racontent dans Ceci est mon corps. Sur cette photo pleine page on voit Fakir Musafar suspendu dans le désert californien par deux crochets fichés dans la chair au niveau de la poitrine.
Né dans le Dakota, il connaissait les pratiques rituelles des Amérindiens qui, d'ailleurs, lui interdiront de reprendre l'appellation de leur rituel. Il les a expérimentées dans sa chair, comme il en a expérimenté bien d'autres.

Jim Ward et Fakir Musafar, photo Charles Gatewood


Son travail a été documenté par lui-même d’abord, notamment à travers la revue Body Play qu’il a créée. Et on retrouve également des photos de lui faites par les photographes de l’underground, comme Charles Gatgewood (à qui la revue L’INqualifiable avait consacré un hommage).


Fakir Musafar était l’ami de personnes qui me sont chères comme Annie Sprinkle ou Ron Athey, comme lui diffuseuses d’amour. Il rejoint dans mon panthéon des artisans et artistes du corps, Bob Flanagan, Shannon Larratt, Jon John.
La mort a produit l'ultime modification. Il l'attendait, s'y préparait avec Cléo et ses amis. Elle lui offre la dernière expérience, celle d'un passage vers un autre monde où il aimait tant s'aventurer.
Annie Sprinkle et Fakir Musafar, photographiés par Charles Gatewood, 1981

 La dernière photo est celle que Ron Athey a postée en avril 2018, alors qu'il était allé rendre visite à Cléo et Fakir. Elle dit l'amour et la joie malgré la maladie et la mort.

Ron Athey, by Fakir Musafar, avril 2018



Le jour où j’ai stoppé les Popovs dans le Bugey* « Comme il faut mal aimer son peuple pour l’envoyer à des choses pareilles. À présent je...