mercredi 17 février 2021

Anthroposomatocène la Terre, le Corps, l'Humain

 

Anthroposomatocène, revue A°2021, éditions 205

Le troisième festival "A l'école de l'anthropocène" s'est tenu depuis Lyon du 25 au 31 janvier 2021 et à été diffusé sur le web en images et en sons. À cette occasion a été livrée la très belle revue A°2021. Il faut l'avoir entre les mains pour constater le magnifique travail fait par les éditions 205 qui n'en sont pas à leur coup d'essai. L'Ecole urbaine de Lyon est à la manoeuvre pour le contenu riche et stimulant (as usual), les éditions 205, façonnant l'objet. Et ça donne vraiment quelque chose de beau, à laquelle je suis honoré d'avoir participé.

Car ça m'a donné l'occasion de poser les jalons d'un concept qui pourrait abriter les réflexions menées sur ce que les humaines font à leur propre environnement ainsi qu'à leur propre corps. Sans doute, cette tentative prend-elle place dans une volonté plus large de caractériser ce que nous vivons, d'identifier un point d'inflexion à partir duquel la vie elle-même est modifiée par ce que nous, humains, pouvons concevoir et mettre en oeuvre à l'échelle de la planète et de notre corps, nos réalisations trouvant des prolongements et des effets concrets sur chacune et chacun de nous, autant que sur les autres espèces vivantes. Dans Vivre avec le trouble, Donna Haraway s'est, elle aussi, prêtée à l'exercice. Avec le brio intellectuel qui est le sien, elle discute d'autres néologismes visant à caractériser le mouvement dans lequel nous sommes. Ainsi, mobilise-t-elle la force sémantique de termes comme "capitalocène" (Andrea Malm et Jason Moore) ou "plantationocène" (Scott F. Gilbert, David Epel) pour proposer à son tour le Chthulucène:

"Il nous faut encore un nom – et j'insiste sur ce point, écrit-elle – pour désigner les forces et les pouvoirs symchthoniens dynamiques auxquels les êtres humains participent et au sein desquels se joue la continuation. L'épanouissement d'assemblages multispécifiques comprenant des êtres humains sera, peut-être, possible. Mais peut-être seulement, moyennant un engagement intense, à condition aussi de collaborer, de travailler et de jouer avec d'autres habitants de Terra. Voilà tout ce que je désigne lorsque je parle du Chthulucène – passé, présent et à venir" (Vivre avec le trouble, p.223)

Voici ici, la présentation des concepts discutés par Donna Haraway dans "Anthropocène, Capitalocène, Plantationocène, Chthulucène. Faire des parents", dans la revue Multitudes (2016, traduction Frédéric Neyrat)

Avec la fabrication du terme anthroposomatocène, je m'inscris donc dans ces tentatives de dire la période qui nous dépasse et que nous vivons, dont nous percevons les mutations et envisageons les perspectives à partir d'une observation qui s'étale sur la longue durée. C'est un exercice aussi ambitieux que futile mais il permet de poser au sein des multiples réflexions sur l'anthropocène, une spécificité sur laquelle je travaille depuis quelques décennies, à savoir ce que les humains peuvent non seulement imaginer, mais également faire sur leur corps.

lundi 11 janvier 2021

Journal de corps confinés – Etudiante, étudiant, dix-huit ans à l’enfermement


La fatigue, la saturation, l’ennui, l’inquiétude des étudiantes et des étudiants commence à être bien connue. Des enquêtes sortent, des médias s’en font écho. Durant les vacances de Noël 2020, j’en ai eu une vision émouvante et inquiétante, à partir des textes que m’avaient adressés celles et ceux que j’encadrais, en première année de STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives), dans le cadre d’un module d’expression et de communication. Le second confinement nous a conduits à travailler à distance, ce que nous faisions déjà en partie. Auparavant, durant le cours, je faisais des lectures de textes à partir desquelles se mettait en place une écriture, puis, avant de partir, il y avait une première lecture des écritures en cours, réalisées par les étudiantes et les étudiants. Ils avaient ensuite jusqu’au début de la semaine suivante pour m’adresser une version jugée finie. La plupart prenait ce temps pour compléter l’écriture enclenchée en cours.

Au moment du confinement, il fallait proposer une évaluation, dite contrôle continu en cours de formation. J’ai conservé les rendez-vous réguliers à distance et suggéré – en arrière-plan –de travailler à partir du Journal d’un corps, de Daniel Pennac et d’écrire le « Journal d’un corps confiné ». Les textes remis constituent des témoignages de la vie de ces jeunes femmes et de ces jeunes hommes, inscrits en faculté des sports, âgés de 18 ans, et qui vont se retrouver, pour la seconde fois de l’année (en terminale puis durant ce premier semestre à l’Université) enfermés chez eux, dans l’impossibilité de se rendre à l’université comme de pratiquer le sport. Ces textes abordent le quotidien dans ses différentes dimensions ; le rapport à la famille, aux amis, aux études, au corps et à ce propos à l’alimentation, à l’exercice, à l’immobilité… 

Je voulais ici lister un certain nombre d’extraits qui traduisent leur mal-être, leur vécu angoissant. Tout le monde ne produit pas des textes désespérés. Néanmoins, chaque texte contient des passages, plus ou moins longs, plus ou moins répétitifs qui indiquent la difficulté à vivre le confinement. La plupart est rentrée dans la famille. Mais ce qui est marquant, c’est que l’isolement est ressenti, par rapport aux ami.es, par rapport à l’université, malgré la présence (parfois pesante aussi) des parents et de la fratrie.

 

Chaque extrait provient d’un « Journal d’un corps confiné » différent 

 

Extraits : 

 

Je passe mes journées sur mon lit ou mon ordinateur. J’ai quelques cours qui font passer le temps mais dès que le cours se termine, je retrouve l’ennui qui était déjà là. Mon corps ne veut plus rien faire, il veut se reposer. Je n’ai plus de motivation pour rien

 

N’ayant pas cours, mon corps est sans énergie

 

je suis de nouveau très fatiguée, je sens mon corps très lourd et sans énergie

 

J’ai très peu dormi, je ne sais pas pourquoi je n’ai pas réussi à m’endormir. Je trouve mon corps lourd, plus pesant que d’habitude, j’ai du mal à me lever

 

Ce matin sans aucune envie je me lève. En sortant du lit, je sens des douleurs au dos mais également à la jambe droite

 

Après un mois à écrire je suis triste, triste d’avoir compris trop tard que ce journal me faisait du bien. Il m’aidait à tenir un rythme, à me lever le matin ou continuer mes cours, aller à mes liens en visio et surtout à ne pas oublier qu’il est important de maintenir un rythme scolaire comme si nous étions à la fac

 

Physiquement autant que mentalement, je me sens molle.

 

Il n’est que 9h mais mes yeux sont déjà fatigués

 

grosse journée de cours, très peu de pause. 8h/18h sans pouvoir bouger et défouler mon corps à part pour manger

 

Mon corps fatigué de ne rien faire, j’enchaine les crampes et le manque de contact humain se fait ressentir

 

Je déprime. J’en ai marre. J’essaie de tirer du positif de ce confinement mais c’est dur

 

Ce matin aucune énergie, je n’avais envie de rien faire… j’avais les bras ballants, les jambes molles, vraiment très fatiguée

 

moi qui habituellement trouve très facilement le sommeil et bien ce n’est plus le cas, c’est un calvaire !

 

Je ne fais plus aucun effort, je ne m’habille plus, je ne me maquille plus, je ne me coiffe plus, je ne fais plus rien, et quand je me vois comme dans cet état, je déprime encore plus

 

la motivation et l’envie ne sont plus du tout au rendez vous

 

Cela va bientôt faire trois semaines que je suis confiné et la fatigue commence à se faire ressentir et le moral est au plus bas

 

cela devient de plus en plus difficile de se motiver à travailler à la maison

 

je commence à avoir peur pour la suite de mes étude

 

Il est dix huit heures, j’ai passé une journée fatigante, je n’ai rien fait

 

je n’arrive plus à résister, je craque et je pleure

 

Je sens que je suis toujours fatigué, comme si je n’avais pas dormi

 

ce qui est problématique avec ce confinement, c’est que nous perdons tous l’envie de faire quoique ce soit

 

Je n’ai pas de cours aujourd’hui. Je me lamente sur mon lit avec des pensées qui me détruisent

 

Mes nuits ? Elles sont toujours aussi horribles. Je vis avec des pensées horribles. Je pleure une fois toutes les deux nuits.

 

j’en aurait passé des jours à taper sur ce clavier d’ordinateur, tous mes doits posés sur ce clavier. A avoir mal aux yeux à force d’être sur l’ordinateur, à avoir mal au dos, au cou, parce que lorsque je travaille je me tiens mal

 

Je suis fatigué je viens de me lever mes os craquent comme si je m’étais réveillé dans le corps d’une personne âgée ce confinement est en train de me rouiller

 

Je mange n’importe comment mon hygiène de vie n’est pas excellente pourtant je le sais mais cette atmosphère ne m’encourage pas plus à faire des efforts

 

Aujourd’hui, je me sens vide, vide de sensation comme si je vivais mais sans rien vivre. Je me sens mal. La journée passe et rien ne se passe

 

Mon esprit est fragile et mon corps me le fait ressentir

 

en sortant de la douche avant de m’habiller, je me suis trouvée flasque et moins tonique

 

je fais ce qui est nécessaire sous ce toit mais aujourd’hui tout est plus dur, tout est plus lourd.

 

Seule toute la journée, j’en deviens folle

 

Il ne se passe rien. Je répète ma routine. Je ne sais même plus ce que je ressens. Mon corps répète ces gestes encore et encore. Je suis vide. Ça n’a plus de sens. Je réitère juste les mêmes choses, chaque jour.

 

Je me mords l’intérieur de la lèvre jusqu’à sang, et je me gratte la peau de la main jusqu’à ce que l’on voit ma chair

 

une journée totale d’ennui devant mon ordinateur à suivre les cours à distance

 

Je me sens faible, faible mentalement, faible physiquement, faible tout court

 

Aujourd’hui je ne me sentais pas bien, que ce soit moralement ou physiquement j’étais à sec

 

je ressens la tristesse et la lassitude reprendre le dessus

 

En plus de la pression des cours et de ce quotidien dépressif j’ai l’impression de me sentir de moins en moins bien dans mon corps

 

déjà que mon quotidien est répétitif alors si celui-ci deviens désagréable cela risque d’être long…

 

L’ennui est au centre de tout en ce moment, peu de cours, peu de personnes chez moi

 

je suis prisonnier de ma propre maison dans ma peau d’humain

 

en tant qu’ado de 18 ans dans un corps d’1m87 et 75KG c’est compliqué de rester sans rien faire

 

Sans rien pour me divertir, personne pour me parler, j’ai erré sans but dans ma maison tel un zombie, avant d’enfin pouvoir me recoucher, que cette journée se termine

 

Ma tête est lourde. Ce confinement pèse sur mes épaules. L’absence pèse aussi sur mon cœur.

 

Je suis en état pseudo-dépressif depuis mon réveil et la perspective de travailler à distance chez moi

 

Ce soir mes émotions on prit le dessus et je n'ai pas su les contrôler.

 

Je sens comme une fatigue non expliquée, puisque que je dors bien et j'ai un sommeil de 8 heures chaque nuit

 

Mon moral est proche de zéro, car c’est ma première année en France et je vais passer deux mois cloitrés dans un appartement

 

Les jours se ressemblent et s’assemblent et c’est de plus en plus dur de se lever le matin

 

depuis une semaine je grignote toute la journée. J’entame à dix heures un paquet de chips puis à onze heures j’enchaine avec un paquet de bonbon et tout ça dans ma chambre devant mon écran

 

je suis fatigué de faire mon sport à l’appart, c’est devenu plus déprimant que jouissif

 

je n’ai ni le courage, ni l’énergie, ni l’envie de faire quelque chose

 

j’ai passé la journée au lit. Ma vie se résume à l’ennui.

 

Je me sens ballonnée à longueur de journée et j’ai de plus en plus de douleurs à l’estomac qui me réveillerait presque la nuit

 

L’ennuie prend le dessus, j’ai de moins en moins de cours en visio-conférence, je me sens seul et plus ça va, plus je me renferme sur moi-même

 

Tout comme les émotions, la douleur peut parfois être difficile à écrire, tout ce que je peux dire, c’est que ma douleur psychologique est bien au-dessus de ce que j’ai pu ressentir auparavant

 

Je suis fatigué. Fatigué par les cours

 

Je ne suis aucun cours, je n’ai pas pris la peine d’allumer mon ordinateur ni de mettre un réveil

 

Le jour où j’ai stoppé les Popovs dans le Bugey* « Comme il faut mal aimer son peuple pour l’envoyer à des choses pareilles. À présent je...