le corps d'Amy Winehouse |
C'est à cette paix que j'ai pensé quand j'ai appris son décès. La traque est terminée. Les photographes de la presse dite "people" devront trouver une autre cible, aussi fragile, aussi détruite. Tout comme Britney Spears en son temps, Amy Winehouse était devenue le marronnier des magazines de caniveau dont les ventes se construisent sur la mise en scène des histoires de coeur et de la déchéances de stars. Ils devront trouver un autre corps à exposer, sur lequel identifier au télé-objectif les stigmates de la souffrance... ou du plaisir.
Dans cet article en forme d'hommage, je me suis livré à quelques montages photographiques pour rendre compte d'un certain traitement médiatique. La force de l'image à des fins de vente, sa puissance évocatrice et les jugements de valeur qu'elle permet de formuler à peu de frais ont fait d'Amy Winehouse une cible particulièrement recherchée.
Amy Winehouse défoncée, bourrée, stone bref pas très en forme |
Dans le même temps, cette mise en scène d'Amy Winehouse alimentait la palette des artistes maudits que sa mort, à l'âge de 27 ans va renforcer, la situant ainsi dans le "rock'n'roll music's infamous death club" de celles et de ceux partis au même âge en raison de leurs propres excès. Sexe, drogue, alcool constituent en effet des éléments de la stylistique rock, de Bon Scott à Keith Moon en passant par Jimi Hendrix et Jim Morrison. C'est associée à ce style de vie qu'est présentée Amy Winehouse lorsqu'on la voit un verre à la main, en soirée ou en concert.
la légende par l'alcool? |
Epié, il était soumis aux évaluations des codes et des normes. Alors que la presse people traque les bourrelets des stars et capte leur cellulite sur les plages, la maigreur d'Amy Winehouse fonctionnait comme un indicateur de sa décrépitude. Les images la montrant en début de carrière, ronde, sans tatouage contrastaient avec celles, plus récentes, où ses addictions lui suffisaient à se nourrir. L'une d'entre elle est particulièrement révélatrice, où on la voit (à droite ci-dessous) en starlette sexy en début de carrière et (à gauche), maigre, tatouée aux yeux outrageusement maquillés. La rhétorique de l'avant-après fonctionne de manière percutante pour rappeler les codes de la féminité dont elle s'éloigne au fur et à mesure qu'elle s'enfonce dans l'addiction.
la junkie et la bimbo... double infraction: gaspillage de talent... et de féminité |
Ses tatoutages, ses coiffures et ses looks déjantés complétaient la panoplie de la mise en scène. Le corps traqué d'Amy Winehouse contribuait ainsi à maintenir l'ordre des apparences, rappelant constamment les risques des excès. Les tatouages, notamment paraissaient rythmer ce que les médias identifiaient comme une descente aux enfers.
A l'heure où le changement de look s'accompagne d'une stylisation du tatouage s'engageant dans une recherche esthétique, Amy Winehouse arborait des tatouages dispersés sur les bras et le buste sans aucune cohérence entre eux (contrairement, par exemple à ceux qui recouvrent le chanteur Daniel Darc). Il marquaient, d'une certaine manière une stylistique de tatouage plutôt masculine et, en tous les cas, populaire (fer à cheval, ancre marine, pin-up...) s'inscrivant plus dans une histoire populaire du tatouage britannique que dans sa vision esthétique californienne.
les tatouages d'Amy Winehouse |
La laideur vient au secours du discours qui expose Amy Winehouse souriant une dent en moins, cheveux ébouriffés, visage grimaçant, à l'instar des punks qui, par leur look, choquèrent tout comme elle l'Angleterre... Bref, Amy Winehouse paraissait exposer tout ce qu'une jeune femme "comme il faut" travaille à effacer avant de paraître en public..
Tears dry on their own |
De même les stigmates de blessures alimentaient l'idée d'une agressivité constante, là où il était pourtant facile d'identifier avant tout une violence tournée contre elle-même. Doigts abîmés d'avoir frappé (quelque chose ou quelqu'un?), marques de griffures (sur elle ou sur autrui), zébrures d'auto-mutilation, traces de larmes (même si Amy winehouse chantait que ses larmes séchaient d'elles-mêmes dans Tears dry on their own) constituaient autant de stigmates grossis par les magazines pour traduire la quasi-bestialité de la chanteuse. Le corps d'Amy Winehouse portait les stigmates de l'auto-destruction, chacun étant grossi pour attester de la violence dont son corps était porteur.
traque sans fin des stigmates et diversité des blessures |
Elle contribue aussi, à sa manière et à son insu, à l'affirmation de l'ordre social.
Son corps est désormais en paix. Qu'il y repose.
La bande annonce du bouleversant documentaire Amy d'Asif Kapadia (2015), paru donc quatre ans après l'écriture de ce billet
Pour écouter Amy Winehouse
Pour lire sur Amy Winehouse: "Destin tragique pour amy Winehouse. Quelques livres" sur Livres-hebdo.fr
Hommage dans les Inrocks