mercredi 3 juin 2015

Faites là où on vous dit de faire. Notes sur une expérience de partage avortée

Je rentrais du Conseil pour l'égalité entre les femmes et les hommes de la Ville de Lyon, présidé par Thérèse Rabatel. Le thème du jour était la pauvreté des femmes.
Le Secours populaire, le Secours catholiques, Femmes solidaires, le GAMS, le CIDFF sont intervenues, à la suite de la mission d'observation et d'évaluation de la ville, pour présenter un état des lieux de la pauvreté à Lyon et ses conséquences pour les femmes.
La pauvreté cartographiée
On y a parlé des situations de détresse générées par un retard de paiement de la CAF, de la nécessité de pouvoir retirer juste 5€ au guichet de la poste et de tenir 3 jours avec ces 5 euros..., de ces femmes qui ne vont pas chez le coiffeur, qui ne se maquillent pas, qui ne mangent pas, qui sont encore plus soumises à l'isolement, à la honte, aux violences... parce que pauvres, de celles qui tout en ayant un enfant de moins de trois ans ne trouvent pas d'hébergement...

Puis, en rentrant chez moi, j'ai senti de la colère.

La veille un espace coopératif venait d'être volontairement détruit par les services de la ville, appuyés par les forces de sécurité, CRS, police nationale et police municipale. Après avoir été détruit par des pelleteuses, l'espace a été muré, grillagé, surveillé afin d'en interdire l'accès. Il s'agissait d'un jardin partagé, le Jardin des pendarts, initié par le collectif la Ruche de la Croix-Rousse. Le jardin avait été rénové, avec des bancs, mais aussi des plantations de légumes, des composts, et même... des poules. Tout appartenait à tous. Un peu dans l'esprit du Sous-Commandant Marcos, depuis les montagnes du Chiapas ("Tout pour tous").
Cet espace, était un exemple de ce que l'on peut faire ensemble, au cœur de la ville.

Au conseil de l'égalité, le secours catholique dans sa présentation de la pauvreté à Lyon a pris l'exemple d'une femme de la Croix-Rousse, précisément. Sonia, une femme active, avec une vie sociale et relationnelle riche, mais une femme pauvre, seule avec ses enfants...
Cette même femme qui, peut-être, pouvait jusque là profiter du jardin des Pendarts en venant chercher un oeuf pondu par les poules, une salade, quelques radis; qui pouvait aussi récupérer un tee-shirt ou un pantalon pour ses enfants, parmi les vêtements posés là par celles et ceux qui préféraient les donner plutôt que les jeter; qui pouvait aussi prendre un livre pour elle ou pour ses enfants, les femmes et les enfant pauvres lisent aussi.
Au lieu de cela, cette femme pauvre de la Croix-Rousse pourra passer devant le jardin des Pendarts tous les jours en montant chez elle et voir le double grillage qui a été installé,  les portes murées, les fenêtres condamnées par des plaques métalliques et... le jardin détruit à coup de pelleteuses.

Parce qu'à Lyon, la solidarité ne s'auto-organise pas. Elle se décrète. Elle s'énonce. Elle se discute dans les grands et beaux salons de l'Hôtel de Ville, ceux-là mêmes où nous avons discutés de la pauvreté des femmes... Mais qu'un territoire temporaire de solidarité se crée sur un espace laissé vide, dans un terrain laissé à l'abandon, c'est insupportable.
Que des voisins se réunissent, se parlent, partagent en dehors de la désormais institutionnelle "faites des voisins", que des jeunes du quartier viennent le soir discuter avec les "darons" et se poser dans ce jardin parce qu'ils s'y sentent bien, ça n'est pas supportable dans la métropole qui se déshumanise. Que des lieux de rencontre s'instituent par la simple volonté de celles et ceux que la classe politique appelle à faire leur devoir de citoyen à l'approche de chaque échéance électorale, ça n'est pas acceptable.
Mais surtout que ces initiatives de partages ne gênent pas le voisinage, qu'elles produisent au contraire un espace de quiétude, ça n'est pas tolérable.
D'où la nécessité du recours à la force publique pour nettoyer tout ça afin que le peuple comprenne enfin qu'il faut faire là où on lui dit de faire.

Dans quelques mois, Sonia, la jeune femme de la Croix-Rousse pourra raconter au Secours Catholique qu'elle passe désormais chaque jour devant un immeuble flambant neuf, dans lequel elle ne pourra jamais vivre et à la place duquel, naguère, se trouvait un jardin où elle venait cueillir des radis bleus.



"La consigne, c'est la consigne, bonsoir"

Le Jardin des Pendarts
Volontairement détruit puis grillagé


1 commentaire:

  1. Ça fait mal au coeur. Je pense aux enfants cherchant les oeuf pour la fête de Pâques. C'était simple, c'était Joyeux, sans fanfare, seulement le RIRE DES ENFANTS. Pourquoi les belles initiatives n'ont pas le droit de voir le jour. Cela me rend triste.

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