mercredi 25 novembre 2015

Monsieur on ne parle pas des attentats?

Mercredi 18 novembre 2015.
Dernier TD du cours de Philosophie des pratiques corporelles que je donne à l'Université Lyon1.

Cinq jours après les attentats du 13 novembre à Paris.

Le nombre de morts s'élève à 129. Un ami sur Facebook est toujours dans l'attente de l'identification de sa fille (dont j'apprendrai la mort après le cours). Le matin, un assaut a été donné à Saint-Denis. L'enquête post-attentats continue à nous maintenir dans une sordide ambiance et des sentiments qui oscillent entre tristesse et colère.

C'est donc le dernier TD. Je donne les consignes de travail. Les étudiants ont du mal à s'y mettre.

Quand l'un d'entre eux me demande:
"Monsieur on ne parle pas des attentats?"

Je suis surpris. Je ne m'attendais pas à cette demande.
Il y avait eu la minute de silence le lundi. Puis le mardi, le mercredi matin, les cours.
Mais les étudiants attendaient visiblement de pouvoir en parler. Après deux jours et demi de cours, à aucun moment cet espace de parole n'a été institué. Ils me l'ont dit. On n'en a pas parlé. Je sens qu'il y a de la peur, de l'incompréhension.
Parmi eux, ils avaient été nombreux à lire "Faire un cours l'air de rien" que j'avais écrit le samedi.
Ils se sont dit qu'on en parlerait...
Alors, nous en avons parlé, malgré le fait qu'il s'agissait du dernier TD durant lequel nous pouvions ajuster le travail à rendre une semaine plus tard, malgré le fait que c'était le dernier moment où je pouvais les aider pour ce document qui serait noté.
Je ne suis pas sûr que j'ai été à la hauteur de leurs attentes.
Il y a eu du silence, des visages fermés, des regards profonds.
Il s'est encore passé quelque chose dans l'écoute, dans l'expression du ressenti, dans le questionnement.
La qualité des échanges était là.
Parce qu'il fallait parler, non pas encore, mais enfin.
Prendre le temps.
Alors, je me suis dis que face à une horreur comme celle du 13 novembre, une horreur qui se vit aussi ailleurs même si on en parle moins (au Mali, au Liban, au Nigéria, en Tunisie, en Syrie, en Libye, en Irak, en Afghanistan...), il est cependant possible de se retrouver. Une telle horreur nous rend plus humains. Au sens fort du terme. Au sens où nous nous sentons appartenir à une même communauté liée par des valeurs partagées et dont les liens se renforcent par les mots importants, enfin échangés.

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